Vivien Roubaud
au-delà des normes
« L’expansion continue de la sphère des objets et des systèmes qui nous font vivre se trouve aujourd’hui tellement exacerbée qu’il n’est plus possible de les éviter pour celui qui cherche à capter certaine facette de notre monde ». Pour Vivien Roubaud, tous les objets, utiles ou inutiles, ne sauraient constituer une fin en soi. Il ne se contente pas de les utiliser selon leur mode d’emploi, il les transforme à sa manière. Son attention se porte principalement sur les objets hors d’usage, soit parce qu’ils ne fonctionnent plus, soit parce qu’ils sont périmés, obsolètes, plus à la mode, bons à jeter et donc faciles à exploiter. Vivien Roubaud les observe, les jauge, les évalue… Entre eux et lui, le courant passe ou ne passe pas. Parfois, des connections s’établissent, des flux circulent. C’est le début d’un processus d’assemblage qui va donner naissance à d’étranges agencements.
« J’essaie, dit Vivien Roubaud, de poser un regard neuf sur les objets, de voir en eux autre chose que la fonction qui leur a été attribuée. Au sein même des normes, il peut y avoir des failles. L’objet peut recéler un potentiel caché qui n’a pas été développé. Mon travail consiste à le faire apparaître, à exploiter les chocs qui peuvent se produire entre des objets qui, a priori, n’ont aucun rapport entre eux. Je cherche à les ponter, à créer des liens, à les faire fonctionner ensemble alors que normalement, ils ne sont pas faits pour ça. J’opère ainsi des dérèglements constants, mais je m’efforce de les régler. Il en résulte des sculptures qui sont hors systèmes, moment flottant faisant trembler le cadre. Le déséquilibre créé lors du rapprochement et de la coagulation entre les objets trouve une stabilité précaire et fragile notamment par les flux qui les énergisent. Quand ce moment tenu en équilibre sur un fil existe, une certaine harmonie se dégage des assemblages. La recherche de la forme va dans ce sens, les objets se créent par certaines nécessités physiques et pratiques, mais quand les choses se tiennent, se couplent, s’imbriquent, l’objet acquiert alors une dimension et une existence intéressantes. »
Un bricoleur généraliste
Rien d’écologique dans cette démarche : Vivien Roubaud ne récupère pas pour recycler, il décompose, démonte les objets, puis à partir des pièces qui les constituent, il construit ses machines. « Ma pratique, dit-il, est parfois plus polluante que les objets originaux qu’elle utilise. Mon idée n’est pas de récupérer, mais de travailler avec ce que la société nous propose. J’essaie de travailler avec les objets de mon temps. Les déchetteries contiennent parfois un panel et une diversité de matériaux bien plus riches que ceux des magasins. Il faut aller chercher la matière première là ou elle se trouve et elle se trouve partout. Cette pratique qui impose un apprentissage perpétuel des méthodes et techniques, oblige l’esprit à être élastique. Les zigzags et rebonds mécaniques existant entre les machines gravitant autour de nous imposent un regard attentif et une curiosité presque malsaine autour de ces systèmes. »
Sa matière première, Vivien Roubaud la stocke dans son atelier situé dans les anciens abattoirs de Nice. C’est là que sont installés les artistes du groupe La Station, dont il fait partie, depuis sa sortie de la Villa Arson (Ecole Nationale Supérieure d’Art de Nice), en 2011. Au milieu d’une impressionnante collection de pièces détachées, Vivien Roubaud met au point ses assemblages. Il travaille sur plusieurs sculptures à la fois. Il passe de l’une à l’autre. Il lui faut parfois un an avant d’achever l’un de ses systèmes. Il en fait plusieurs prototypes et souvent les versions sont cristallisées ainsi, chacune d’entre elles apportant quelque chose qui n’était pas présent dans la précédente. Pas question, cependant, de se spécialiser dans une technique. Lorsqu’il a fait le tour du savoir-faire lié à un objet, il passe à autre chose.
Les titres des œuvres confortent « l’intérêt premier pour le « comment faire ». Vivien Roubaud « ne cherche pas à expliquer ce qui le pousse à faire telle ou telle sculpture ni à donner un but ou un sujet. Le titre ouvre l’œuvre dans une inconnue, et pousse celui qui regarde à réellement se questionner devant le travail ». Ainsi, « Néons, rampe de connexion, deux cent vingt volts. 2010 », désigne une installation de tubes fluorescents qui ont été pliés sur eux-mêmes, mais qui continuent de fonctionner. L’objet a été déformé tout en gardant sa fonction : éclairer.
Les machines de Vivien Roubaud produisent des distorsions, des rapprochements insolites. Des balais brosses se mettent à danser sur le sol, libérés de leur fonction : un ballet de… balais ! De la barbe à papa est fabriquée par une machine confectionnée avec un train arrière de BMW série 3, une jante de BMW, une tondeuse à gazon et un désherbeur thermique. Une sphère de glace est façonnée par un dispositif composé de pièces de frigidaires et de climatiseurs. Des stalactites prélevées sur des bâtiments sont ré-alimentés en eau, non plus par un système naturel, mais par un dispositif de cuivre ou de verre, réglé par une pompe doseuse péristaltique identique à celle utilisée pour réaliser les perfusions dans les hôpitaux. Des feux d’artifices explosent dans un gel de pétrole dégazé contenu dans des tubes de PMMA, donnant ainsi naissance à des cristallisations filamenteuses, explosion en expansion pétrifiée à l’instant (t) de sa combustion. Un système reprenant les mouvements de la pèche au lancer fait virevolter à plusieurs mètres au-dessus du sol une immense bâche en plastique toute en légèreté et transparence. Une imprimante recomposée dessine sur le sol une folle sarabande. Des turbines de restauration soulèvent dans l’espace la poussière accumulée dans la salle des machines de l’ancien théâtre de la Villa Arson.
L’imaginaire de Roubaud n’a pas de limite. Ses machineries bizarroïdes ont l’air bancales, faites de bric et de broc, et pourtant, elles fonctionnent, adressant un pied de nez « aux industries et aux bureaux d’études » qu’il parodie, détourne et déconstruit. Utopiste ? Provocateur ? Poète ? « Bricoleur généraliste », répond-il, non sans malice. Inlassablement, il s’emploie à produire de l’imprévu, de l’insolite, du farfelu, du rêve. Son champ de références ? « Du… champ », assure-t-il, lui aussi bricoleur impénitent. Et avec lui, tous les esprits libres qui refusent de se laisser emporter par le vertige des certitudes.
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