Xavier Theunis
La stratégie du détournement
Clean, impeccable, presque aseptisée, l’œuvre de Xavier Theunis offre un aspect lisse et harmonieux. Elle orchestre avec éclat un réseau de lignes et de couleurs d’une précision sans faille. Situé au fond d’une cour, rue Défly à Nice, l’atelier de Xavier nous renvoie la même image de netteté. Rien ne traîne, pas une miette de poussière et de désordre nulle part. Tout est épuré jusqu’à la transparence. Xavier présente lui aussi un aspect discret et mesuré. Cheveux courts, look minimaliste, il ne laisse filtrer aucune émotion, affichant un calme et une maîtrise qui semblent imperturbables. Juste, par moments, un petit sourire, un éclair dans le regard laissent affleurer une pointe de malice. La question vient d’elle-même : « Vous auriez pu être architecte ou décorateur ? » La réponse est sans détour : « Non car je n’aurais pas pu me soumettre à un cahier des charges. » Traduisez : c’est moi qui définis le cahier des charges, qui fixe les règles. C’est le privilège de l’artiste : il peut se moquer de la fonction des choses et des objets qui lui servent de modèles. Ce sont de simples moyens qu’il utilise pour forger son propre univers. Xavier Theunis y réussit avec brio. Tout frais émoulu de la Villa Arson à Nice (il en est sorti, diplôme en poche, en 2004), il témoigne d’une étonnante maturité artistique qui transparaît dans la rigueur de son travail et la pertinence de son propos. Ce qui lui a valu d’être remarqué par la critique et le milieu de l’art contemporain. Il a ainsi rejoint très tôt l’équipe prestigieuse de la galerie Catherine Issert de Saint-Paul de Vence, qui compte parmi les meilleures galeries françaises et s’est fait une spécialité de la découverte de nouveaux talents.
défaire, déconstruire.
Donc, reprenons l’équation : on part de l’environnement offert par l’architecture contemporaine et le design : paysages épurés, bâtiments futuristes, matériaux hi-tech. À l’intérieur, des bureaux bien agencés avec équipements de pointe, des appartements bourrés de domotique et pour les meubler, le top de la création contemporaine : un mobilier de créateurs label-
lisés arty, combinant prouesses techniques et audaces plastiques. Bref, le nec plus ultra, susceptible d’incarner une fin en soi pour un consommateur éclairé.
Mais pour Xavier, ce n’est qu’un point de départ. S’il s’inspire des productions du design, c’est pour leur imprimer un singulier travail de déconstruction. Le mot clé qu’il cite pour résumer sa démarche, c’est « défaire », ce qui veut dire selon le dictionnaire : « ramener à l’état premier ce qui était assemblé, construit », mais aussi « déballer, défaire un paquet, des valises… » ou encore « modifier ou détruire l’assemblage… » et enfin, « mettre en déroute un ennemi, délivrer, débarrasser une région d’un individu nuisible… » Voilà le programme. Fin stratège, Xavier se sert des moyens de l’adversaire. Ses matériaux viennent de la panoplie moderne des métiers de la construction : adhésifs, acier galvanisé, aluminium thermolaqué, verre, plâtre, grillage… Les techniques sont celles du découpage et de l’assemblage. L’exécution relève d’une précision chirurgicale. Les procédures sont mises au point au préalable sur ordinateur. Elles
développent des stratégies subtiles qui opèrent de minutieux décalages. Réalisés le plus souvent au moyen d’adhésifs découpés et collés sur des plaques d’alu, les tableaux de Xavier ne sont pas de simples « clones » de l’original. Les formes et les lignes ont été déplacées, si bien qu’à l’arrivée on ne reconnaît pas toujours le modèle : on se retrouve face à une sorte de tableau
abstrait. De la même façon, Xavier détourne des meubles phares du design tel le célèbre fauteuil « Favela » des frères Campana édité par Edra, symbole du design à l’ère du commerce équitable. Xavier l’a reproduit à l’aide d’adhésifs collés sur papier ou sur aluminium. D’autres fois, il utilise l’acrylique blanc pour peindre des reproductions quelque peu glaçantes d’intérieurs moderne (Funny house). Autre pied de nez : avec ses «chutes » d’atelier, de simples rebus, il réalise des figures géométriques virtuoses qui évoquent les compositions constructivistes les plus abouties. Les scénographies imaginées par Xavier prolongent cet effet de décalage. En 2009, il a proposé à la Galerie Issert, une installation baptisée Scherp & schieve. Ses œuvres n’étaient pas
accrochées sur les murs de la galerie, comme cela se fait d’ordinaire, mais au cœur d’une structure en 3 D reproduisant une partie de l’espace de la galerie. Le lieu de l’exposition se retrouvait ainsi exposé et les œuvres l’étaient deux fois. Xavier complète son dispositif en
distillant ici et là, un humour pince sans rire qui souligne les décalages qu’il opère. Il utilise par exemple des mots venus de sa Belgique natale (il est né en 1978 à Anderlecht). Scherp & schieve, le titre de son installation de 2009, chez Catherine Issert, peut ainsi se
traduire par « à la limite » (scherp) et « de travers » (schieve). Une autre de ses installations (2011) reçoit le titre d’Ode au stoemp. Le stoemp n’est en rien un nouveau concept forgé par l’artiste, mais une purée de patates et de légumes typiquement belge. En 2002, il intitule une sculpture reproduisant l’armature d’un fauteuil séparée de son revêtement exposé en parallèle : La peau et les os. En 2003 et 2009, il présente des plaques d’Éternit et d’acier galvanisé, qu’il baptise : Sans titre (Toi, toi, mon toit I et II)… « Défaits », décalés, déconstruits, les objets et les décors de notre univers contemporain peuvent libérer une étrange poésie, dont les accents font songer au principe de ce ventilateur décrit par Rayas Richa, dans un texte de 2007, cité par Xavier Theunis : « Incapable de trouver sa place dans la nature, il [le ventilateur] refuse de se résigner à une posture romantique (voyez ces grands Non de la tête) et crée une œuvre interne et maîtrisée. Moins en objet d’art qu’en objet artiste, par un mouvement conscient, il investit l’espace et par une simple redisposition (régurgitation) de ses mêmes éléments, génère, dans un milieu clos, un peu d’air frais… » « Mais voilà qu’au crépuscule une légère brise glisse aux rebords des fenêtres emportant avec elle un principe longtemps recherché. Demeure alors une joyeuse carcasse dont le visage apaisé n’est plus sans rappeler l’ossature du vent. »
Impressions d’ateliers – L’Art contemporain à Nice en 2010
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