Tatiana Wolska
La recréation du monde
Tatiana Wolska est née en 1977 à Zawiercie, en Pologne. Elle obtient un bac littéraire en 1996, puis passe un BTS de Publicité en 1999, à Katowice. Mais déjà, elle rêve d’art. Et pour elle, l’art, c’est à Nice, à la Villa Arson. « On m’avait dit que c’était la meilleure école », dit-elle. Et la voilà partie en stop, direction le soleil et une nouvelle vie, pleine de promesses. Pas facile, pourtant, de faire des études en France lorsqu’on est polonaise. Il faudra un temps d’adaptation, d’apprentissage, maisTatiana s’accroche. Après avoir redoublé deux fois, elle y arrive : elle obtient son DNAP (Diplôme National d’Arts Plastiques) à la Villa Arson, en 2004, puis son DNSEP (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique), en 2007. La voilà diplômée, mais encore ? Que faire ? Artiste ! Dès 2007, elle participe à une exposition collective (« Génération 70 ») à la Galerie de la Marine, à Nice, et c’est parti ! En une poignée d’années, elle affirme un style très personnel. Elle intègre le groupe d’artistes niçois « La Station » et installe son atelier aux Abattoirs de Nice, où se trouve le QG du groupe. En 2011, elle a été retenue par la galerie Catherine Issert de Saint-Paul de Vence, pour une exposition collective aux côtés de Claude Viallat et Bernard Pagès, deux figures marquantes de l’art contemporain, créateurs dans les années 60 du non moins célèbre mouvement Supports-Surfaces, champion de la déconstruction de la peinture. Tatiana est donc lancée. Sur la Côte d’Azur, elle a aussi rencontré l’amour : elle vit avec David Raffini, un artiste comme elle, qui est installé lui aussi dans un atelier de la Station.
La démarche artistique de Tatiana ? Elle recycle des rebuts, des déchets de notre société de consommation : bouteilles en plastique, chutes de bois, vieux clous, vieilles vis, sacs-poubelles etc. Ceci explique peut-être en partie son succès : après tout, l’écologie est à la mode. Mais non, Tatiana n’est pas vraiment écologiste. Si elle recycle, c’est par habitude. Dans un pays pauvre et quand on n’a pas de ressources suffisantes pour s’offrir des matériaux nobles, c’est un moyen commode de se procurer une matière première à bon marché : « Sans que je sois une écologiste assidue, écrit-elle sur son site internet, je n’aime pas encombrer la planète plus qu’elle ne l’est déjà. J’utilise donc essentiellement des matériaux de récupération. Je sais que c’est un discours très utilisé actuellement, mais au fil du temps je me suis rendu compte que
chez moi c’est plus une habitude venue tout droit de l’environnement post communiste dans lequel j’évoluais. Le système D que nous utilisions n’était pas tant un phénomène de mode, mais plutôt un recyclage nécessaire au fonctionnement de chacun. Ensuite, il y a mon manque d’imagination inné et ma volonté de construire, ou simplement de faire quelque chose de mes propres mains… »
Des formes organiques
À partir de ces matériaux pauvres, rejetés, négligés, qualifiés souvent de polluants, Tatiana compose de nouveaux objets, étranges, sans signification évidente. « D’une certaine manière, je dirais que je range, j’ordonne des matériaux qui, associés, font la sculpture. » Et encore : « Je me moque de moi-même, de mes habitudes, réflexes bébêtes, mes attirances pour tout ce qui brille… Je réanime des objets non voulus, cassés, jetés ou oubliés. Je les restaure. Je leur redonne un nouveau souffle. Je répète souvent mes gestes, je me répète… J’essaye des coups de magie qui foirent la plupart du temps… » Mais parfois, c’est la réussite : la magie opère, la forme est achevée, étrangement belle et silencieuse. Elle n’en finit pas de nous faire rêver, nous entraîne vers d’autres mondes, de lointains pays où tout paraît léger et transparent. Les bouteilles de Perrier ou de Badoit en plastique sont découpées, puis thermosoudées. Les voilà qui se métamorphosent en espèces d’aérolithes qui planent dans notre imaginaire, toute pesanteur abolie, celle de la matière, mais aussi celle du sens bien rationnel, trop rationnel. Les chutes de bois s’assemblent pour former des structures étranges, des sortes de gros coquillages dont Tatiana polit la surface minutieusement. Parfois, elle les vernit et dans l’obscurité, elles se mettent à briller comme de grosses lucioles ou des bouts de cristaux phosphorescents. Avec de vieux clous rouillés, elle donne naissance à des filaments onduleux, qui font songer à des végétaux ou à des algues étirées dans l’espace. D’une vieille palette, elle fait une sorte d’objet précieux en la sertissant non pas de diamants, mais de vis. Des bouts de planches assemblés et peints en rose donnent naissance à une surprenante Cadillac montée sur roulettes. Une table de nuit est surmontée d’un singulier champignon Parasite de forme conique constitué de chutes de bois assemblées, polies et vernies. Des chutes de bois encore donnent naissance à un porte-clés géant. David, le compagnon de Tatiana, est portraituré sous la forme d’une structure biscornue formée d’un matelas et de mousses Pu empaquetés dans un film étirable, le tout monté sur roulettes. Étrange contrepoint au David de Michel-Ange…
Les dessins de Tatiana font écho à ses sculptures. Réalisés au feutre, au stabilo ou au stylo à bille, ils donnent à voir des surfaces nervurées, des plis, des ondulations, toute une germination mystérieuse qui semble tracer l’ADN d’un univers en gestation. À moins que ce soient des sortes d’animaux endormis, tapis dans l’inconscient, qui pourraient soudain remuer avec des mouvements de mollusques.
Pour expliquer les formes organiques récurrentes que prennent ses objets, Tatiana parle « d’une tentative d’évasion de la forme minimale si présente encore dans nos maisons et musées ». Tatiana dit aussi osciller « entre l’art et la décoration » et c’est vrai que ses sculptures peuvent faire songer à des objets design. Mais à les regarder de près, elles échappent à toute tentative de réduction hâtive. C’est là leur force. Elles participent d’une volonté de recréer le monde. À partir de simples rebuts, précaires et misérables, Tatiana nous donne à rêver un univers plein d’humanité et de poésie. En regardant ses œuvres, on ne peut s’empêcher de mettre en
rapport son travail avec à son itinéraire, l’histoire de cette jeune fille qui rêve d’être artiste et qui, un beau matin, décide de quitter le triste horizon du post-communisme polonais pour s’inventer une nouvelle vie sur les rivages de la Méditerranée.
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