Sandra D. Lecoq
Peindre au féminin
Muse ou compagne, oui, modèle, oui, peintre ou sculpteuse, non ou si peu : en art, la femme a
longtemps été un sujet qui inspire l’homme, plus qu’une actrice à part entière. Dans le même temps qu’il lui octroyait des droits, à commencer par celui de voter, le XXe siècle lui a ouvert les portes du cercle, jusque-là très masculin, des artistes. Mais rien n’est gagné. Les vieilles idées machistes et les réflexes de soumission gravés dans l’inconscient des femmes ont la vie dure. Sur le front artistique, un évènement a marqué l’histoire récente. En 1972, à Los Angeles, Miriam Shapiro, Judy Chicago et Faith Wilding dirigent « Womanhouse », une exposition organisée dans une maison d’Hollywood retapée pour l’occasion par 24 étudiantes. Dans ses 17 pièces, des femmes artistes présentent des œuvres iconoclastes qui mettent en scène des objets que la société rattache à la féminité : tampons hygiéniques, sous-vêtements, produits de beauté, linge de maison… Considérés comme triviaux, vulgaires et méprisables, les voilà érigés en médiums artistiques. Sandra D. Lecoq est née précisément cette année-là, le 5 mai 1972, à Penja au Cameroun. Elle n’y reste pas longtemps. Ses parents déménagent pour s’installer sur la Côte d’Azur. Très tôt, Sandra rêve d’être artiste. Ses parents ne la découragent pas, au contraire. Ils s’intéressent à l’art et l’entraînent avec eux dans les expositions de la Côte. C’est donc logiquement qu’elle entre à la Villa Arson à Nice. Elle obtient son diplôme en 1996. Cette période de formation lui permet de se remettre en question, mais aussi de « confirmer définitivement son désir d’être artiste ». C’est aussi l’occasion de nouer des relations qui jouent un rôle décisif dans sa vie. Ainsi, elle épouse Noël Dolla, professeur à la Villa, l’un des fondateurs en 1969 du groupe Supports-Surfaces. Elle restera 8 ans avec lui. « C’est à cet homme-là que je dois le plus », écrit-elle en 2006, lors d’une exposition au Dojo à Nice, qui rassemble, autour d’elle, des artistes amis, qui font partie de sa « famille », comme elle dit. Sur le plan des idées, l’apport de Supports-Surfaces est essentiel. Il lui permet de sortir du cadre traditionnel de la peinture : le châssis, la toile, le tableau. Elle profite de cet héritage comme des avancées initiées par les féministes radicales du « Womanhouse ». Mais elle refuse d’être réduite à un genre : elle veut rester libre de son travail. Son engagement artistique est sans appel. « Ce qui m’intéresse, dit-elle, c’est de faire une œuvre plus qu’une carrière ! »
Female wild soul
Très vite, Sandra choisit une voie. Elle fait de la peinture sans les moyens traditionnels de la peinture. « Les différentes facettes de mon travail, écrit-elle (documentsdartistes.org, 2008), réinterprètent des souvenirs de la peinture (fond, forme, dessin, couleur) qui pourraient être assez classiques mais je n’oublie pas l’aventure violente que la modernité a imposée à ce médium (des papiers découpés de Matisse, des collages en tout genre, de la déconstruction)… » Elle se met ainsi à tresser ses chiffons d’atelier, puis des bandes de tissus. Cette technique va donner naissance à ses premières œuvres marquantes : les « Pénis Carpet ». Elle y met en scène l’un des motifs récurrents de son travail : le phallus. Réalisés au moyen de lanières de tissus tressées, ces « tapis » déploient à nos pieds des mosaïques de couleurs vives. Leurs formes évoquent celles du pénis, mais sans être totalement explicites. On est donc libre de les interpréter comme on veut. De céder à l’efflorescence des couleurs, de rêver en tournant autour, de se laisser griser par leur rayonnement sensuel.
La technique mise au point par Sandra peut se pratiquer partout. Ce qui est très utile lorsqu’on est mère et qu’on doit surveiller son enfant. Sandra peut ainsi transporter son atelier chez elle. Son travail d’artiste se rythme sur sa vie de femme. Ce qui pour elle est un stimulant. Les matériaux utilisés tout comme les gestes domestiques, couture, tricot renvoient à des activités considérées comme typiquement féminines, sauf qu’elles sont détournées, transformées en moyens artistiques, en vecteurs de création. Sandra réalise ensuite les « Flacid Carpet », « des couvertures tricotées multicolores sur lesquelles je viens coudre des formes de sexes d’hommes découpées dans mes chutes de tissus » (documentsdartistes.org, 2008). Ils rappellent les vieux ouvrages de femmes, « ringards et de mauvais goût », mais ils les magnifient. Au phallus, Sandra ajoute d’autres référents, des textes, cette fois, aux résonances érotiques et rebelles : Female wild soul, l’âme de la femelle sauvage, et le « OUI », symbole d’adhésion à la vie, au désir. Avec la série « He draws I do », elle introduit un autre de ses thèmes récurrents : la vanité, devenue dans notre société, un simple motif décoratif utilisé dans la mode ou la décoration. Sandra reprend des dessins de squelettes et de têtes de mort réalisés par son fils. Ils sont découpés, agrandis, recomposés et réinterprétés. « Le vit en rose », ce sont de grandes aquarelles, qui mêlent des dessins réalisés à la main gauche, des transferts de photos de famille, des sexes, des vanités et le « fuck, doigt impudique ». « Elle le sait au cul » reprend la technique du patchwork, mais à partir de papiers peints. Photographiées, les pièces sont tirées sur PVC. « La toile cirée à caractère domestique prend, dit-elle (documentsdartistes.org, 2008), des allures de grande peinture ». Sa série « H de guerre » déclenche « une vendetta picturale » alignant sur des toiles, des insultes en tout genre. Ses « Acid Kiss » impriment sur de petits miroirs des auréoles blanchâtres. Et ses autoportraits (monotypes sans titres) nous montrent son visage de profil, peint à l’acrylique noire, dilué, presque effacé, comme s’il était englouti par une irrémédiable mélancolie.
Fidèle à un lexique formel cohérent et original, portée par un besoin de vérité, l’œuvre de Sandra D. Lecoq est « un acte de résistance », d’affirmation de soi, contre tout ce qui, depuis la nuit des temps, écrase, contraint et dénature la femme. De tapis phalliques en patchworks détonants, de textes rebelles en baisers acides, d’insultes en provocations, c’est ton nom qui s’écrit : liberté.
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