Patrick Moya
Le monde selon moi !
C’est peut-être à cette époque que tout s’est décidé. Lorsqu’il était enfant et que son père, Guillermo Moya, un émigré espagnol, originaire de Majorque, décide de l’envoyer en pension. Le petit Patrick a 11 ans. Sa famille vit à Troyes, où il est né le 15 décembre 1955. Son père tient un commerce de vêtements. En 1970, Guillermo prend sa retraite et vient s’installer sur la Côte d’Azur, à Cagnes-sur-Mer, avec sa femme, Éliane, et son fils. Pour Florence Canarelli, auteur du Cas Moya et biographe officiel de l’artiste, le petit Patrick a mal vécu ces années de pensionnat. Très tôt, peut-être pour compenser, oublier sa solitude affective, il dessine. À 16 ans, sur un cahier d’écolier, il compose sa première BD qu’il intitule Paillasson ou la justice française. Elle met en scène un serial killer, accusé d’avoir tué d’un coup de couteau son frère jumeau dans le ventre de sa mère ! Chargé, diraient les psychiatres. Mais Patrick n’en a cure. Déjà, il sait sinon où il va, du moins où il ne veut pas aller. C’est ainsi qu’en 1974, il quitte le lycée pour entrer à la Villa Arson, l’École d’Art de Nice. Très vite, il se distingue en affichant des positions singulières. Il est fasciné par la TV et Guy Lux. Pour lui, l’animateur vedette représente « l’avant-garde artistique de notre époque ». Il l’affirme haut et fort dans un article paru dans Le Reptile au Style, un fanzine qu’il a créé en 1975. Dans le numéro 3, il fait passer une pétition pour que Guy Lux soit Ministre de la Culture ! Cet amour de la com’ et des
médias va de pair avec son intérêt pour la sociologie et l’œuvre de Marshall MacLuhan. Dans sa
Galaxie Gutenberg en 1962, celui-ci a diagnostiqué que «l’interdépendance nouvelle qu’impose l’électronique recrée le monde à l’image d’un village global ». Ce qui conduit Moya à formuler dès cette époque son credo artistique : « Le message, c’est le médium. Le seul message que j’ai à faire passer, c’est moi, je suis le médium… » D’où sa conception de l’artiste : « L’artiste n’est pas le créateur, mais la créature. » Dans un monde surmédiatisé, c’est elle, en effet, qui mène la danse, fait le spectacle. Moya rêve de l’imiter, d’être sur le devant de la scène et de conquérir un large public. Son style en découle. À l’instar des émissions de télé qu’il adore, il sera direct, sans détour, d’un abord facile et consensuel, bref, proposera un art véritablement populaire qui puisse plaire au maximum de gens et pourquoi pas à tout le monde. Moyennant quoi, l’artiste pourra devenir « le Maître du monde ». Folie, démesure, suffisance ? Moya revendique tout en bloc : « Ne soyons pas trop modeste, écrit-il dans son journal daté de 1976 (in Le Cas Moya par Florence Canarelli), car la modestie est un frein à l’intelligence. J’entends la modestie intérieure, car la modestie extérieure est une forme de politesse et de convenance utile aux relations humaines, et donc à la satisfaction de nos prétentions. »
Narcisse à l’ère du numérique
Moya commence sa carrière artistique en étant… modèle ! Surprenant ? Non, logique : être modèle, c’est être dans l’œuvre d’art, devenir cette créature qui a pris le pas sur le créateur. Pendant dix ans, de 1979 à 1989, il pose régulièrement dans le plus simple appareil pour les élèves de la Villa Arson et de la Villa Thiole à Nice. Puis il change de rôle : il passe de l’autre côté du
chevalet. Le voilà peintre. Mais attention, il ne se trahit pas pour autant : il ne renonce pas à être « la créature » : il sera lui-même le sujet de sa peinture. S’inspirant du néo-lettrisme, il commence par décliner son nom dans ses dessins et tableaux. À l’instar de Rimbaud qui inventa la couleur des Voyelles, Moya colore les lettres qui le composent : M rouge (énergie), O jaune (message), Y vert (antenne réceptive), A bleu (spectateur). En 1996, il crée un personnage qui lui ressemble, son double pictural, un petit lutin qui fait aussi songer à Pinocchio, autre héros de l’imaginaire moyacien. Il devient le fil conducteur de ses œuvres. Autour de lui, foisonnent des figures imagées qui font songer à l’univers merveilleux des magazines pour enfants : ânes, anges, Cupidons, oursons, etc. En 1998, il crée Dolly, une délicieuse petite brebis clonée, qui devient l’emblème des soirées techno Dolly Party. Plus tard, de 2003 à 2007, lorsqu’il orne de fresques, illustrant la vie de Saint Jean Baptiste, les murs de la Chapelle de Clans, dans l’arrière-pays niçois, il donne aux différents personnages son propre visage. En 2007, il crée Moya Janus, son avatar, qui devient le héros central des îles virtuelles qu’il possède sur Second Life. En 2011, il fait paraître son catalogue raisonné et raconte son parcours artistique sur une monumentale fresque-installation de 90 mètres de long à la Malmaison, à Cannes. Le style de Moya est à l’unisson : léger, primesautier, aérien. Moya revendique la couleur. Il se veut artiste méditerranéen. Fasciné par « les peintres qui mettaient 3 secondes pour faire un tableau », il ne souffre ni l’angoisse de la création, ni les peines du labeur artistique. Il exécute ses œuvres d’un trait, sans effort apparent. Son incroyable virtuosité lui permet de travailler très vite, souvent dans l’urgence. Elle s’accommode de tous les supports et de toutes les techniques. Il est aussi bien sculpteur, céramiste, artiste numérique, performer qu’il est peintre et dessinateur. Sujet central de son œuvre, Moya est aussi omniprésent sur la scène artistique. Qu’il s’agisse
d’exposer dans les galeries de la Côte d’Azur ou à l’étranger, de s’intégrer dans des mouvements artistiques niçois comme Verbes d’états, dans les années 80, ou de travailler pour des sponsors comme la Caisse d’Épargne de Nice, il répond présent. Au besoin, il se transporte ailleurs avec la même légèreté désinvolte et souriante. Il adore l’Asie et notamment la Chine (Taïwan et Hong Kong) et la Corée, où il a pu présenter ses sculptures. Doué d’ubiquité, virevoltant, aussi amusant qu’amusé, il sait être à l’aise partout, se faufiler dans tous les milieux, envahir l’espace, faire le spectacle, créature vibrionnante, irradiant un esprit d’enfant prolongé, teinté d’humour et de malice. Narcisse moderne, dont la suffisance peut irriter certains, mais qui finit
toujours par communiquer aux autres une sympathie inaltérable et une immense joie de vivre.
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