Max Charvolen
Les géométries picturales
C’est à Cannes, où il est né en 1946, que Max Charvolen a installé son atelier dans une ancienne
imprimerie. Il y entrepose son matériel, ses archives, mais aussi ses œuvres, qu’on peut voir emballées ou accrochées sur les grands murs blancs de ce vaste local. Elles se présentent comme des toiles colorées aux formes étranges, de formats variables, qui, de prime abord, se donnent pour abstraites, ce qui suscite chez le spectateur, interrogations et suppositions. Que sont ces étranges figures aux couleurs attrayantes ? Qu’est-ce qu’a voulu représenter le peintre ? Inévitablement, on est tenté de projeter sur ces toiles qui ne ressemblent à rien de connu, des images multiples, produites par l’imagination. Ici, certains croient discerner une silhouette humaine, tels autres voient un squelette ou des bustes d’homme… L’artiste italien Sandro Parmiggiani, cité par Jean Arrouye dans le catalogue d’une exposition de 2004 consacré à Charvolen par le Centre d’Art d’Ivry-sur-Seine, trouve que « les formes des œuvres de Max Charvolen renvoient à une sorte de jeu de l’oie, aux fragments explosés d’un animal fantastique, aux objets pétris d’imaginaire comme les vaisseaux perdus dans l’espace infini et les cerf-volants ». Au jeu de l’interprétation, on l’aura compris, tout est permis ! Il ne faut pas compter sur l’artiste pour clore le débat, en accréditant telle ou telle vision. Il se défend d’ailleurs de vouloir produire des images explicites. Tout son travail repose justement sur la mise en cause de la peinture conçue comme représentation du monde ou de la personnalité du peintre.
Pour comprendre son parcours et le sens de ses œuvres, il faut remonter aux années 60. Étudiant à
l’École des Beaux-Arts de Nice et à l’École des Beaux-Arts et d’Architecture de Marseille, Charvolen fait son stage d’architecture à Rio, dans l’agence d’Oscar Niemeyer, le créateur de Brasilia. De retour sur la Côte d’Azur, il se retrouve au cœur des débats qui agitent les milieux artistiques de l’époque. Les tendances oscillent entre le Nouveau Réalisme (qui s’intéresse à l’objet de consommation) et Fluxus (qui privilégie l’attitude), mais une nouvelle orientation se dessine à travers des artistes comme Simon Hantaï ou le groupe BMPT, qui se proposent de remettre en question l’acte de peindre et son support de prédilection : le tableau. C’est ainsi que va se développer le courant dit de la « peinture analytique et critique », auquel Charvolen prend part. En 1968 il participe à Nice au « Dossier 68 » avec Biga, Alocco, Viallat, Dolla, Monticelli, Pagès… et par la suite au groupe INterVENTION avec Monticelli, Dolla, Maccaferri, Miguel, Alocco… Au début de l’année 1970, il fonde avec Maccaferri, Chacallis, Isnard et Miguel, le Groupe 70, qui, très vite, s’affirme, avec le groupe Supports-Surfaces, comme le fer de lance d’une véritable révolution picturale. Finis, l’inspiration chère à l’École de Paris, le peintre visionnaire qui projette ses émotions sur un tableau, désormais, on déconstruit l’univers classique de la peinture avec une rigueur chirurgicale.
Découpages et empreintes
Charvolen commence par s’intéresser à la toile du tableau à laquelle il fait subir un patient travail de découpage, qui pose le problème de la limite et du rapport de l’œuvre à l’espace et au corps. À la fin des années 70, sa pratique évolue. Il passe de « l’espace symbolique et orthonormé de la toile » au « symbole » lui-même, à savoir le modèle. Autrefois, le peintre le reproduisait sur la toile, Charvolen inverse la procédure :
il déplace la toile vers le modèle, pour en façonner une empreinte. Son choix privilégie le bâti, les lieux qui nous entourent : maisons, pièces, escaliers, cheminées, colonnes en façades, etc. Pourquoi ? Parce que le bâti lui rappelle la structure du tableau qu’il s’agit de déconstruire, mais aussi parce qu’il correspond à sa double formation de peintre et d’architecte. De plus, ces éléments d’architecture se prêtent parfaitement à la procédure que Charvolen met au point. Sur le lieu qu’il a choisi, il colle des morceaux de toile (d’environ 20 cm de côté) au plus près des formes qu’il veut mouler. Les couleurs, qui sont mêlées à la colle, opèrent comme une signalétique : « Elles peuvent, dit-il, constituer une sorte de codage topographique du lieu : ce qui est à gauche, de telle couleur ; ce qui est en haut, de telle autre couleur… Mes couleurs se rapprochent souvent des primaires et secondaires ; elles sont arbitraires et donc, il ne faut pas y chercher une symbolique ou une volonté d’expressivité, même si le spectateur, lui, peut y voir ce qu’il veut ». Le sol est laissé non coloré. Il porte l’empreinte des traces de main ou de pas qui s’y sont imprimées durant le travail de l’artiste ou durant la période où la toile est restée collée au modèle. Vient ensuite, la deuxième étape : le découpage. Charvolen découpe la toile et la décolle de façon à la mettre à plat. Il passe ainsi d’un espace à trois dimensions à un espace à deux dimensions. Le principe du découpage est très rigoureux : il faut que la toile demeure d’un seul tenant et qu’il y ait le moins possible de recouvrements (deux pans de toile qui se chevauchent). Moyennant quoi, on peut choisir entre de multiples possibilités : pour mettre à plat un parallélépipède simple, il existe 720 manières de le découper, et pour un volume à 20 faces, le nombre comprend 30 zéros ! Une fois la toile découpée et mise à plat, apparaît une forme qui semble abstraite, tant il est difficile d’y discerner celle du modèle initial (escalier, cheminée, colonne etc.). Du même, surgit ainsi un autre, dont l’identité est incertaine. Le jeu de l’interprétation peut commencer. Il s’enrichit encore lorsque Charvolen reproduit des ruines ou des vestiges, comme en 2003, où il part à Delphes, mouler le Trésor des Marseillais, dans le cadre de la célébration du 26e centenaire de Marseille. Ces vestiges portent traces d’un passé, si bien que l’artiste en prélevant l’empreinte du lieu, prélève aussi les restes d’une histoire, dont la présence « absente » habitera la toile, une fois mise à plat et livrée au regard d’un spectateur surpris et intrigué, qui, grâce au seul pouvoir de son imaginaire, pourra tout à loisir recréer le monde, en s’inventant des histoires.
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