Martin Caminiti
en roue libre
Enfant, Martin Caminiti aimait dessiner et faire du vélo. «Je n’avais pas de dons particuliers pour le dessin, raconte-t-il, mais ça me plaisait. J’étais aussi attiré par le vélo. J’habitais à Roquebrune Cap Martin. On montait voir Paris-Nice, qui passait pas loin. C’était l’époque de Poulidor, Zoetemelk … Tout le monde a un souvenir lié au vélo, c’est souvent la première chute, mais c’est aussi la première fois où votre père a lâché la selle pour vous laisser en faire tout seul. Le vélo est universel. Vous pouvez en parler à un Européen, à un Américain, à un Chinois, tous connaissent le vélo. »
Le petit Martin, à l’évidence, était sensible, un peu rêveur, mais il avait aussi l’esprit pratique. L’école ne l’intéresse guère. Très vite, il veut avoir un métier et choisit de préparer un CAP de menuiserie. Diplôme en poche, il commence à travailler chez des patrons, puis il fait l’armée. Là, tout va changer. « J’avais un copain, dit-il, qui avait fait les Beaux Arts et qui était peintre en lettres. Un peu grâce à lui, j’ai compris qu’en passant par une école d’art, je pourrais trouver un métier qui me correspondrait mieux que la menuiserie. » C’est ainsi qu’après l’Armée, Martin entre à la Villa Thiole, l’Ecole Municipale d’Arts Plastiques de Nice. Deux ans plus tard, il intègre l’Ecole des Arts Décoratifs, toujours à Nice, qui deviendra par la suite la Villa Arson. Les six ans qu’il y passe vont non seulement l’enthousiasmer, mais décider de sa vocation d’artiste. Il s’intéresse surtout au dessin et à la sculpture. Pour lui, les deux sont liés. Il rêve de sculpter comme on dessine et d’apporter au dessin une troisième dimension. Dans les livres qu’il dévore à la bibliothèque de l’Ecole, il découvre des guides avisés : les maîtres de l’art moderne et de l’art contemporain. Ses professeurs l’encouragent, l’aident à préciser sa technique. A la fin de ses études, il crée ses premières oeuvres, notamment deux sculptures qui annoncent ses futurs travaux. Il démonte le vélo de son grand-père et réalise un « Hommage à Pépé » qui adresse un clin d’œil à son aïeul, bien sûr, mais aussi au travail de Picasso sur la tauromachie.
La seconde sculpture est un « Hommage à la roue de vélo de Marcel Duchamp ». Martin l’inverse : le tabouret qui sert de socle se retrouve les pieds en l’air et la roue vient s’appuyer sur le sol. L’œuvre du maître est culbutée, sans dessus dessous.
Le travail de Martin attire l’attention de Ben, l’un des initiateurs du mouvement Fluxus, qui aime bien venir à l’Ecole en électron libre, y faire interventions et performances. Intéressée elle aussi, la galeriste niçoise, Lola Gassin, expose les créations de Martin après qu’il a obtenu son diplôme en 1987. Le voilà sur orbite. Au début des années 90, il va enseigner à l’Ecole d’art de Toulon, puis il revient à Nice où il est engagé à la Villa Thiole dont il prend la direction en 2003. Professeur et artiste, il mène de front les deux carrières avec un égal succès.
Machines à rêver…
Le mouvement, la liberté, l’invention, Martin Caminiti déteste l’immobilisme. « J’aime bien, dit-il, jouer avec les pieds de nez. Je ne veux pas me mettre dans une boîte et faire toujours la même chose. Je suis dans la recherche permanente. J’estime qu’un artiste doit se permettre toutes les libertés. » Martin crée ainsi des objets et des dessins à partir de son histoire personnelle, de ses rencontres, de ses souvenirs, de ce qu’il aime. Son humour allègre et joueur le porte aux calembours, aux allusions drôles, au rire toujours tendre, jamais cynique ou railleur. Parmi ses références, il cite volontiers Walt Disney, Tex Avery, Tim Burton et Philippe Decouflé. Il se revendique aussi de Jacques Tati, expert en vélocipède et maître du gag, de Neil Armstrong, le premier homme qui a marché sur la lune, et de Youri Gagarine, le premier astronaute à voyager dans l’espace. Comme eux, Martin aime défier la pesanteur, qu’elle soit physique ou spirituelle. Son matériau emblématique, c’est la bicyclette. Il la démonte, s’empare de ses éléments, roues, fourches, chaînes, cadres pour réaliser des sculptures aux formes élancées qui semblent décoller de terre, n’hésitant pas à s’accrocher aux murs ou aux plafonds, à flotter dans l’espace comme si elles entraient en lévitation. Au fil de la route, il glane toutes sortes d’objets. Des cannes à pêche, d’abord. Souples et fines, elles ont tout pour le séduire. Outre leurs formes très graphiques, elles font penser à son nom : Martin, comme chacun le sait, est pêcheur. « Au propre et au figuré », souligne mi-figue, mi-raisin, l’intéressé. Grâce à lui, voilà que les cannes à pêche et les bicyclettes se combinent idéalement, dessinent dans l’espace des formes singulières, mariant pureté et fantaisie.
Martin utilise aussi des fils de nylon, des allumettes, des blisters, des étalonnages de sérigraphie… Ces derniers, par exemple, sont à l’origine de la série « Hommage à mon ami Kamel ». Elle a été inspirée par un ami de Martin, Nasser, qui voulait se faire appeler Jean-Pierre… Pour Martin, c’est une aberration, un déni d’identité, qui suscite cet « Hommage », évoquant aussi les paquets de Camel, les cigarettes préférées de Martin, où sont prélevés les échantillons de sérigraphie collés côte à côte pour composer un tableau coloré qui fait songer à une peinture abstraite.
La couleur complète le langage artistique de Martin. Elle s’intègre naturellement à ses dispositifs. Il utilise ainsi des globes d’éclairage aux teintes vives pour composer des sculptures, toutes en rondeurs, féminines et sensuelles, d’où jaillissent des gerbes de tiges flexibles, comme une floraison de jets d’eau.
S’il sait insuffler à la sculpture l’élégance d’un trait de dessin, Martin sait aussi donner au dessin sur papier ou rhodoïd, mouvement et profondeur. En superposant des transparents où il a réalisé différentes figures, il crée ainsi des formes mobiles. Ses hologrammes, confectionnés au moyen d’un procédé original, font apparaître des motifs variables selon l’angle du regard, tel cet « Hommage à Gagarine » où, dans un entrelacs de lignes, on peut distinguer le visage du célèbre cosmonaute.
Pirouettes, facéties, légèreté, poésie, les œuvres de Martin Caminiti sont de véritables machines à fabriquer du rêve. Elles nous arrachent à la vie ordinaire, en recomposent les éléments avec une incontestable joie de vivre et l’envie de la partager.
Impressions d’ateliers – L’Art contemporain à Nice en 2010
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