Margaret Michel
les machines poétiques
L’art, c’est le mouvement ! Le mouvement, c’est la vie ! Les futuristes le proclament dès le début du XXème siècle. Les inventeurs de l’art cinétique le crient haut et fort, dans les années 50 et 60. Tel Jean Tinguely, le créateur des machines à peindre (méta-matics) et des méta-mécaniques, qui écrit : « Résistez à la faiblesse apeurée d’arrêter le mouvement, de pétrifier les instants et de tuer le vivant. Arrêtez-vous de toujours réaffirmer des « valeurs » qui s’écroulent quand même. Soyez libre, vivez. »
Margaret Michel pourrait reprendre la formule à son compte. Au début des années 90 : 1/ elle se met à recycler toutes sortes de déchets et de rebus pour réaliser des objets et des installations, 2/ elle les anime au moyen de moteurs. C’est l’aboutissement d’un long parcours artistique. Née à New York en 1955, elle a obtenu un diplôme d’art à l’Université George Mason de Virginie. Puis elle décide de partir en Europe. Elle étudie le français à l’Université de Nice et suit les cours de l’Ecole du Louvre à Paris. Elle en sort avec un diplôme d’Histoire de l’Art Asiatique. De retour aux Etats-Unis, elle est assistante dans une fonderie d’art à San Francisco. Déjà, elle sculpte et expose. Elle travaille le bronze. Un matériau des plus classiques. Lors d’un séjour en Arizona, elle devient l’assistante de James Turrell, connu pour son travail sur l’espace et la lumière. Michel est « subjuguée » : « Il m’a fallu des mois, dit-elle, avant de retourner à mon propre travail, repartant sur des bases nouvelles ». Elle se met ainsi à réaliser des pièces illuminées en fibre de verre translucide. Plus tard, dans la Silicon Valley, elle est frappée par la masse des déchets produits par l’industrie informatique. Ces déchets lui parlent, la remuent, l’inspirent. Elle se dit qu’elle pourrait les utiliser pour créer des objets et des sculptures. Elle commence par recycler de vieilles résistances. Puis elle récupère toutes sortes de déchets qu’elles retransforment, « soit en conservant leur histoire, soit en les détournant pour créer une histoire nouvelle ». En utilisant de petits moteurs, elle crée des sortes de machines composées d’éléments disparates, glanés au gré de ses rencontres ou de ses voyages. Elle désosse un piano pour en récupérer touches et marteaux. Dissèque des machines à écrire dont elle réemploie les pièces détachées. Une amie lui donne une collection d’insectes réalisée par son mari qui vient de mourir, elle vide les boîtes pour y loger des dispositifs animés. Les insectes, elle les utilise pour d’autres sculptures. Un restaurateur se débarrasse d’animaux naturalisés, elle les adopte aussitôt pour les faire ré-apparaître dans des installations. Un corbeau par ci. Un aigle par là. Des papillons aussi, des colombes… Elle décompose et recompose. Tend des fils entre les objets. Etablit des connexions, des rapprochements. Rien à voir avec la raison raisonnante, la logique ordinaire. Les assemblages de Michel obéissent aux hasards de la fantaisie. Ils tissent une histoire qui peut n’avoir ni queue, ni tête. Mais justement, elles sont faites pour ça, ces machines insolites, décrasser les méninges du spectateur. Soudain l’air est plus léger et l’esprit plus clair. « J’ai compris, dit Michel, qu’il y avait un espace dans chaque individu où une alchimie potentielle peut être catalysée par des forces mystérieuses. Si on est capable de suivre avec confiance ce chemin magique, on peut arriver à un produit témoignant d’une poésie que nous n’aurions pu assembler seul. »
Ca tourne rond…
Ses moteurs, Michel les récupère dans de vieux fours à micro-ondes. Ce ne sont pas des moteurs sophistiqués, bourrés d’informatique, non, ils tournent en rond, c’est tout : un coup à l’envers, un coup à l’endroit. Tout simple. Michel s’en contente. Elle ne veut surtout pas compliquer. Son propos, c’est de conserver une fraîcheur native. Quelque chose comme l’innocence d’un enfant qui pose un regard neuf sur le monde. Et ça tourne. Sans but précis. Surtout pas un but productiviste. Juste une visée poétique. Une escapade vers l’inconnu. Les espaces infinies. Un équilibre retrouvé entre l’homme et la nature. Et même, allez, ça peut tourner pour rien. Avec un sourire en coin. Car l’humour n’est jamais bien loin. Il se niche dans des rencontres incongrues. Ou des jeux de mots. Ou des titres, mi-figue mi-raisin. Qui introduisent de la distance. Donc, de la pensée. Mais aussi du jeu. Car l’aspect ludique est hautement souhaité, voire prémédité. Tournez, jouez ! Mus par un petit moteur, les mots Dog/State se changent en Etats/God. Des éventails s’ouvrent et se ferment, c’est « The Diaphanous Dance ». Dans une boîte un éventail –encore- va et vient, cachant et dévoilant une photo où l’on voit une femme nue, ça pourrait s’appeler « Tentation ». Là surgit une « Vague » : un cylindre bleuté passe sous un clavier de machine à écrire dont les bras se lèvent et se baissent alternativement en produisant un bruit de frottement : on croit entendre le ressac. Ici un « Aigle Impérial » scrute d’un œil perçant une carte topographique : à coup sûr, il lit l’avenir, c’est Manifest Destiny. Là, un corbeau rythme une pulsation en deux temps, comme un battement de coeur.
Voilà pour les mobiles ! Les stabiles sont tout aussi rafraîchissants. Des insectes en résine et des aiguilles deviennent des escarpins : « Talons Aiguilles ». Des chambres à air composent un inquiétant manteau/houppelande, c’est « Sympathy for The Devil ». En bas, dans l’entrée de l’atelier, au cœur de Vallauris, une machine dessine des cercles sur une sorte de tableau noir avec des bouts de craie. Une belle fleur se forme et vous salue en partant.
Cap sur la petite maison que Margaret Michel habite avec son mari, sur les hauteurs de Vallauris. Un petit coin de paradis tapi dans un jardin flamboyant où dansent des pins et des végétations fleuries. Au loin, le cap d’Antibes et la mer. Au dessus, le ciel, d’un bleu azuré. En contrebas, sur un bout de pré d’un vert éclatant, s’épanouit une belle floraison de sculptures mobiles en acier inox recyclé. Doucement, elles pulsent dans la brise, épousent le mouvement du vent, se plient aux cycles, aux vibrations de l’air, respirent avec lui, fusionnent avec lui. C’est la paix retrouvée. La paix et la sérénité. Tinguely est exaucé : on est libre et on vit.
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