Marc Chevalier
Les bonheurs du simulacre
Marc Chevalier est né à Paris, le 28 août 1967. Il a vécu ensuite dans le Poitou et quand il a été question pour lui de faire une école d’art, il a choisi la Villa Arson à Nice. « À cause, dit-il, de l’excellente réputation qu’elle avait » . Il obtient son diplôme en 1993, mais il séjourne à la Villa deux ans encore, comme résidant. Déjà, il a envie de créer, de peindre. Reste à définir comment. Il est convaincu que ça ne peut pas être comme avant. L’acte de peindre est désormais en question, ouvert à une multiplicité de pratiques qui l’analysent, le déconstruisent, le questionnent. Les réponses apportées par Marc viendront avec la pratique. C’est en faisant qu’il les trouvera. Pour l’heure, il participe à la création de La Station, un groupe qui rassemble de jeunes artistes niçois. Puis il quitte Nice. Sa vie et sa création se poursuivent à Paris et à Berlin. En 2012, quand nous l’avons rencontré, il n’avait pas d’atelier fixe, il se faisait inviter. Mais il souhaitait s’établir de nouveau à Nice et demander un atelier aux entrepôts
Spada, une friche mise à la disposition des artistes par la Ville. S’il a voyagé, sa réflexion reste la même. Elle part d’un constat ; « un sentiment de vide du sens » (in documentsdartistes.org, 1998). Les valeurs reçues, le discours et les représentations artistiques font entendre un étrange silence, une vacance qui s’ouvre une fois dépassée leur littéralité. Qu’est-ce qui se joue au-delà des mots et de leur sens immédiat ? Qu’est-ce que peuvent bien signifier les images ? D’où l’interrogation de Marc : « J’ai commencé par réfléchir aux valeurs symboliques et aux symboles sans valeurs… » L’écriture qu’il a inventé figure, selon lui, « l’existence d’une réalité non formulable » dont Wittgenstein a eu l’intuition et sur laquelle repose le principe de son esthétique : « Ce qui peut être montré ne peut être dit ». D’où la conclusion de Marc : « Le non-sens d’un mot qui parle suggère une peinture qui réfléchit sur elle-même tout en se faisant ; la peinture fait sa propre critique, entame un discours sur elle-même dans un discours qui, par un métalangage bavard, tente de définir une chose irréductible au langage. » C’est ainsi qu’il va proposer ses premières œuvres. Il s’agit de « Flaques » de peinture qu’il met à sécher sur des emballages en plastique provenant des supermarchés et des épiceries. Les motifs de ces sachets viennent s’imprimer dans la peinture. Marc superpose ensuite plusieurs couches de peinture séchée pour former d’étranges figures qui font penser à des gravats ou des déchets ou des croûtes de peinture. C’est en façonnant un collage que Marc va avoir une nouvelle intuition décisive pour la suite de son travail. Il se rend compte que le bout de scotch qu’il utilise a une couleur. Du coup, ce n’est plus simplement un matériau pratique pour coller ensemble des éléments disjoints, c’est aussi « une touche », un élément pictural. Partant de ce constat, Marc va réaliser des tableaux uniquement avec de l’adhésif. Peu à peu, il met au point une technique picturale dont le résultat s’apparente à celui de la peinture, mais qui n’utilise ni peinture, ni toile, ni pinceau. C’est de la peinture sans peinture, qui en a le rendu, la texture, mais aussi la richesse et la variété. Les tableaux de Marc évoquent ainsi l’abstraction, les monochromes, voire le Pop Art. Il compose de la même manière de grandes peintures murales et des écrans d’ordinateurs où « les petits carrés de scotch et la trame qu’ils constituent, en évoquant la pixellisation, rendent plausible et vraisemblable le thème de l’écran ». Il y reproduit, non sans humour, des icônes bizarres aux sens indéchiffrables, inspirés par ceux des jeux vidéo, de la TV ou de la pub.
Simuler/décoder
Marc Chevalier réalise aussi des installations. Ses dispositifs mettent à jour le fonctionnement des illusions que notre société de communication s’emploie à développer et à renouveler sans cesse. En 2005, par exemple, il présente « Cractus » un pain rond planté de cactus, c’est le bon grain (le pain, symbole de civilisation) parasité par l’ivraie (le cactus, qui la contrarie sans cesse). En 2002, c’est Politique/balistique, où l’on voit une vraie de vraie pièce montée soumise à l’assaut d’une troupe de religieuses au café, elles-mêmes menacées par des boules de pétanque. Commentaire de Sylvie Coëllier (in catalogue Prêts à prêter, Isthme éditions /FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2005) : « le château-gâteau semble une annexe de l’exposition comme les guerres en Afrique ou au Moyen-Orient demeurent des annexes du dessert du dimanche et de la partie de boules ». En 2007, « La dote et l’antidote » fait voisiner une pièce montée avec un tas de crottins de cheval de même forme surmonté de l’effigie des deux mariés.
Ce décodage des représentations véhiculées par la culture et les medias est figuré par un travail initié par Marc en 2002. Il s’agit de petites sculptures réalisées au moyen de fléchettes montées sur une prise mâle et de prises multiples. On peut s’amuser à venir ficher ces fléchettes, seules ou assemblées au moyen de prises multiples, sur une prise de courant au bas d’un mur. Visuellement, elles font songer à des sortes de vaisseaux spatiaux miniatures avec lesquels on peut s’amuser comme un enfant avec des figurines en plastique représentant les héros favoris de ses films, jeux vidéo ou BD. Et pourtant, ces objets nous en disent plus qu’ils en ont l’air. Leur portée symbolique tient aux opérations qu’ils suggèrent : cibler, viser, tirer, toucher, mais quoi ? Le réel, comme le suggère leur nom : En prise avec le réel ? Mais, est-ce bien le réel qu’on obtient ou un simulacre, une illusion, un spectacle qui organise notre vision des choses ? C’est tout l’enjeu de la représentation médiatique qui prétend nous donner à voir le réel alors qu’elle le met en scène. Mais aussi la visée de l’esprit : le sens littéral visé par la flèche sémantique est-il tout le sens ? Et celle du regard ? Ce qu’on aperçoit sur le tableau, cette « fenêtre ouverte » telle que l’a définie Leon Battista Alberti à la Renaissance dans son traité De Pictura (1435), est-il une simple copie du réel ou un peu plus ? Les Flaques de Marc Chevalier et ses toiles en adhésifs nous suggèrent que la représentation jamais n’équivaut au réel, comme il est impossible de dire « cette vision mentale de l’idée de peinture… qui donne à penser mais restera toujours à voir ».
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