Louis Chacallis
une vie d’artiste
Né en 1943 à Alger, Louis Chacallis a fait l’essentiel de sa carrière artistique depuis Nice, où il nous a reçus dans son appartement-atelier du boulevard Stalingrad. Plutôt que de parler de son œuvre, il a choisi d’évoquer la situation de l’artiste, à Nice et au niveau international.
N’avez-vous jamais eu envie de quitter Nice et sa région pour vous installer ailleurs ?
J’ai passé mon adolescence à Alger en période trouble, de l’âge, de l’Algérie. Puis j’ai fait de nombreux voyages en Arabie, au Yemen, en Asie, en Inde. Avec ma mère, je suivais mon père d’un pays à l’autre dans ses fonctions de directeur d’agence maritime. Après de multiples aventures, nous nous sommes installés sur la Côte d’Azur qui, pensions-nous, avait quelques ressemblances avec l’Algérie. Nice, c’était la tranquillité, le soleil, la mer et cette lumière dont la présence rend la couleur si tangible. Après plusieurs séjours à l’étranger et en Allemagne, un passage amusant aux Arts Décoratifs, je m’installais définitivement à Nice, un peu en métèque, loin des remous du marché de l’art toujours centralisé et occupant définitivement les grandes villes du monde. Rester à Nice pour mieux développer l’œuvre, mieux la penser : idéalisme de jeunesse ou naïveté romantique ? Peut-être, mais c’était un choix et après tout, je m’y sens bien dans cette ville. J’aime me lever à mes heures, travailler à mes heures, partir le matin pour de longues promenades en bord de mer à travers les senteurs enveloppantes du large, reprendre le travail plus tard, quand le soleil et la chaleur se matérialisent, s’expriment. Bien, non ? Pour le moment, je n’attends rien d’autre, et comme le dit si bien Henri Miller dans son beau livre Printemps noir : « Aujourd’hui, assis là, je vous dis que je me fous complètement que le monde aille à sa ruine, ou non, je me fous que le monde ait raison ou tort, qu’il soit bon ou mauvais, il est, et ça suffit. »
Que pensez-vous de la situation faite aux artistes et à l’art contemporain sur la Côte d’Azur ?
Au cours du 20ième siècle, beaucoup d’artistes se sont installés sur la Côte, Matisse, Bonnard, Picasso. Artistes reconnus, établis dans la région et vivant principalement de leurs rentes. Les Nouveaux Réalistes n’ont pas échappé à la règle. Mais souvent l’art contemporain, c’est ailleurs qu’il s’est dit, ailleurs qu’il s’est vu, peu dans nos régions, beaucoup dans la capitale, pourquoi ? Probablement parce que le milieu niçois ne se prêtait pas vraiment aux rencontres. La priorité était donnée au tourisme, au détriment d’autres urgences, entre autres philosophiques, morales et spirituelles, à travers les pratiques artistiques des différentes époques.
Pour survivre, Nice doit garder sa vocation touristique mais pour beaucoup d’artistes vivant et travaillant ici, le soleil peut devenir noir. La région reste tout de même le paradis des professionnels du marché, ceux qui peuvent décider de leur avenir, souvent sur des convictions idéologiques. Il y a aussi les professionnels des idées, ceux qui engagent leur œuvre dans un devenir. Il peut arriver que ces deux formes de professionnalisme deviennent compatibles, alors certains artistes peuvent s’offrir une petite place au paradis, sous le soleil. Quant aux institutions culturelles, aux musées, nous savons que Nice bat tous les records en termes de musées en France, voyez-vous ça… Au milieu coule le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, qui semble surnager, tournoyer un peu sur lui-même, en autarcie.
Cette institution n’a pas su garder l’activité propre à un musée d’art contemporain d’ampleur régionale, qui est de faire valoir les institutions qui l’entourent : organismes
régionaux, galeries, centres de recherches. Organismes que nous imaginons par intermittence au service de l’art. Vue justifiée ? Vue faussée ? Je ne sais pas, mais il apparaît que les responsables de ce musée ne doivent pas trop s’inquiéter quant à se glorifier sur les choses
acquises, les mouvements reconnus et d’obtenir les lettres de noblesse nécessaires pour atteindre les hauteurs vers la centralisation. Un musée d’art contemporain, en plus, d’ampleur régionale, doit assurer et assumer ses fonctions avec et envers son environnement culturel. Tout cela reste à définir pour structurer autrement peut-être certains centres régionaux et organiser dans la ville de plus grandes manifestations artistiques avec les plasticiens locaux, jeunes et moins jeunes.
Cela n’est pas qu’une question de moyens, nous le pensons, ça doit rester avant tout une forte volonté et le désir de créer de l’évènement, de ne pas perdre l’héritage artistique de ces cinquante dernières années.
Est-ce que cette situation locale diffère de ce qui se passe au niveau national et international ?
La différence est d’admettre qu’en France, nous gardons toujours « une » forme de nationalisme, de centralisme, pour moi, ces deux choses se valent. Elles sont toujours
ce pouvoir si difficile à combattre. Qu’est-ce à dire face aux enjeux de l’art international ? Quand je me rends à Paris, je n’ose plus déclarer que je suis un artiste niçois, cela fait sourire, mais quand je suis dans d’autres grands pays étrangers et que je dis que je suis un artiste français, cela fait sourire aussi, je vous laisse juge. Un autre exemple, qui complète le précédent, certains collectionneurs niçois vont le plus souvent acquérir à Paris l’œuvre d’un artiste de la région, quand celui-ci est amené à y faire une exposition, mais surtout quand le collectionneur apprend que cet artiste obtient un certain succès médiatique, et beaucoup plus encore quand on parle de lui à l’étranger.
Vu sous ces différents angles, il semble que nous ne sommes plus pris au sérieux, comme si nous donnions l’impression que nous attendons la reconnaissance des plus hauts… « et l’enfant demanda à ses pères s’il avait bien travaillé ». Mais est-ce une impression ? Pour la France, l’art ne semble plus se trouver sur ces hauteurs-là. Le pays ne paraît toucher qu’un certain public qui garde avant tout en mémoire des idées lointaines auréolées d’un certain prestige sur ses
traditions, de l’enseignement, du fonctionnariat, traditions de la pensée française, du bon goût, j’en passe.
Il est vrai que c’est un peu partout le cas mais en France, nous battons les records. Nous incarnons l’académisme, un académisme atteint sous toutes ses formes. La modernité, aujourd’hui ? Nous rejoignons les élites internationales. La modernité est devenue « mode ». Il faut suivre les présentations successives des différents pays : Espagne, Russie, Chine, etc. dans cette sorte d’accélération de l’âge moderne des formes (L’ère du vide, Gilles Lipovetsky), et aussi l’accélération exponentielle de tous les systèmes sociaux (Accélération, Hartmut Rosa).
Les nationalismes, les ethnies sont surtout des murs. L’art ne doit plus se réclamer de quelques traditions, mais de toutes, afin de transformer, que nous le voulions ou pas, notre entrée en décadence. Depuis longtemps déjà, nous allons vers ce « grand village » qu’est la planète et nous entrons peut-être tous dans un « grand âge classique », mais international cette fois. Il faut continuer à bâtir sur et avec toutes les cultures et toutes les nouvelles techniques. Le mélange des cultures (liées aux représentations) crée de nouvelles formes et les nouvelles techniques fondent le nouveau sens – disait Baudrillard. Tout cela nous oblige à penser un nouveau langage. J’y pense encore et toujours.
À quand ce passeport bleu d’Yves Kein qui nous permettrait d’être ici, et partout ailleurs à la fois.
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