Jacqueline Gainon
La passion de peindre
Ne parlez surtout pas à Jacqueline Gainon d’ordinateur, d’informatique, de vidéo, d’installation ou de performance : « Ce n’est pas mon truc », dit-elle. Son « truc », c’est la peinture. Et ce depuis le début. Née à Nice en 1951, elle fait l’École des Beaux-Arts de Marseille en 1970, puis l’École des Beaux-Arts de Paris en 1977. Une formation « classique », certains diront « académique ». Et pourtant, à sa sortie de l’École, Jacqueline surprend son monde. Dès sa première exposition à Nice (« Confrontation », galerie Chez Malabar & Cunégonde, 1980), on perçoit un tempérament particulier, qui lui vaut de participer en 1982 à une exposition collective de la Galerie d’Art Contemporain des Musées de Nice, sous le titre : « l’Air du Temps : Figuration Libre en France ». Jacqueline est en bonne compagnie. L’exposition regroupe la fine fleur de ce courant qui rejette l’abstraction : Alberola, Blais, Combas, Di Rosa, Lanneau… La manière
de Jacqueline l’apparente aussi aux artistes germaniques très en vogue dans les années 80/90 :
Castelli, Fetting et Penck. Elle les retrouve au sein de la galerie Joachim Becker, installée rue du Bivouac Napoléon à Cannes. C’est l’une des galeries azuréennes les plus en vue de l’époque et
Jacqueline gagne très vite ses galons de peintre. Sa peinture fait la part belle à la matière et
surtout à la couleur, vive, intense, qui noie les personnages et les motifs. Ce maëlstrom chromatique n’est pas sans rappeler l’expressionnisme allemand et notamment des peintres comme Ersnt Ludwig Kirchner. Ce qui prime, c’est l’émotion, le ressenti de l’artiste, la force de sa vision, l’énergie qui se dégage de la toile. En 1987, lors d’une exposition (« Mythologie d’aujourd’hui ») chez Joachim Becker, le critique Jacques Lepage note : « Jacqueline Gainon
accepte d’être peintre, d’apparaître traditionnelle, elle ne théorise pas, elle peint et ce qu’elle peint devient la peinture. La violence d’un monde en proie aux fureurs,
l’angoisse du moment où l’homme se découvre destructible dans son essence même… » Jacqueline
entame une belle carrière internationale qui la conduit en Allemagne (galerie Anne Friebe à Cologne, galerie Tobias Hirschmann à Francfort), mais aussi en Hollande (galerie Laurens Daane à Amsterdam), en Espagne, en Suisse, au Portugal au Japon, sans oublier Paris (galerie Martine Queval). Elle est présente dans de nombreux musées (Musée Picasso d’Antibes, Musée d’Art Moderne et Contemporain de Nice, Musées de Cannes, de Toulon, Nantes et Dunkerque).
De Freud à Cranach
Et aujourd’hui ? Jacqueline peint. Encore et toujours. Autant dire que les débats sur la mort de la peinture la font sourire. Plus que jamais, elle croit à la puissance des couleurs et de la matière. « Le sujet m’importe peu, dit-elle, c’est un prétexte à peindre… Il y en a qui se
servent de photos, d’images qu’ils ont vues à la télé. Ils les recopient puis ils les peignent. Pour moi, c’est du coloriage, ça ne m’intéresse pas. La peinture, c’est un format, de la matière, des couleurs qu’il faut organiser sur la toile. Ce sont des problèmes plutôt classiques, mais c’est difficile à résoudre. Quand j’attaque une toile, je n’ai pas d’idée préconçue. Les idées viennent en peignant. » Peindre, pour Jacqueline, est un long processus. Elle essaye, recommence, repeint.
« C’est laborieux, dit-elle, d’aller au bout d’un projet. Le premier jet est toujours exaltant, mais quand on laisse reposer la toile, on se rend compte très souvent que ce qu’on a fait ne tient pas et qu’il faut tout reprendre. » Ses travaux les plus récents, présentés notamment à la galerie de la Marine à Nice en 2006 et à la galerie Norbert Pastor à Nice en 2006 et 2009, développent ainsi des thèmes très différents. À la galerie de la Marine, sous le titre « 1, 2, 3, Soleil », Jacqueline mettait en scène une « enfant traumatisée par la guerre». « Je suis partie, dit-elle, d’une photo prise en 1946 par un photographe anonyme. Elle m’a beaucoup impressionnée. » La palette est très ample. Elle va des couleurs intenses, caractéristiques de la manière de Jacqueline, jusqu’aux noirs et blancs. L’enfant est présentée comme une poupée désarticulée sur des fonds vides. Sur certaines toiles, elle est associée à un objet ou une figure fortement signifiante : un lit, un nounours, une échelle, un loup. Le thème de l’enfance blessée, est aussi au centre de l’exposition « Entrez dans la ronde… » présentée chez Norbert Pastor, en 2006. Trois ans après, toujours chez Pastor, Jacqueline revient avec « Ithaque » aux thèmes mythologiques chers à ses débuts. Elle peint « un récit, une fable, comme un livre d’images d’un voyage toujours recommencé ». Avec le temps, la peinture de Jacqueline s’est intériorisée. Elle donne à voir les souffrances et les blessures qui sont en chacun de nous. L’ « enfant » de la série « 1, 2, 3, Soleil » nous saute au visage, nous dit tout son malheur, sans un mot, par la force de son terrible silence. Sa série « Entrez dans la ronde… » égrène « une chanson aux rires et chagrins », où « bobos et blessures sont à fleur de peau… ».
Le style suit. Les personnages sont cernés par le trait et les couleurs. Jacqueline donne à voir leurs sentiments, leur solitude, leur détresse. Sans détours, dans leur vérité nue. « De Freud à Cranach, dit-elle, ça me va. » En 2009-2010, Jacqueline s’est lancée dans une série dédiée au nu, thème classique s’il en est. Elle s’inspire de Cranach, mais aussi du Titien, d’Ingres, de Courbet dont elle a peint deux interprétations saisissantes de L’Origine du Monde. Le visage est souvent absent, les corps sont peints par morceaux, tantôt dans des couleurs intenses, tantôt dans des blancs « cotonneux ». Ils sont pris ou non dans des plissés. « Pour moi, dit Jacqueline, le drap est associé au corps de la femme. Il évoque la sensualité, l’érotisme. Le linceul est associé au corps de l’homme. » Sur certains tableaux, les nus féminins sont accompagnés de chiens et portent des colliers de perles. Réminiscences, échos, reflets de tableaux célèbres, Jacqueline reprend des thèmes traditionnels, les rejoue au présent, leur donne une incroyable modernité. Grâce à son art sensible et profond, la peinture, loin d’être dépassée, réaffirme avec force son actualité.
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