Henri Olivier
La sculpture côté jardin
Parti de Nice, on s’enfonce dans la vallée du Paillon, semée d’usines, de hangars, de cimenteries.
À Contes, on bifurque et la campagne reprend ses droits. La route s’élève, grimpe vers un ciel clair. Un village tout en haut : La Vernéa, et des noms qui chantent comme des rivières : le Chemin du Moulin, puis le Chemin de la Source. L’air se fait léger, les odeurs champêtres. Et la maison surgit, tout au fond d’un bois, perchée sur un promontoire. À droite, un atelier ouvert à tous vents. Ce pourrait être celui d’un menuisier, d’un ferronnier, d’un forgeron. À l’arrière, un autre bâtiment, tapi dans la verdure et relié à la maison par un petit aqueduc de pierres. Tout autour, des arbres dont les feuillages frémissent dans la brise, des escarpements, des pentes couvertes de buissons, et tout en haut, derrière l’écran des feuillages, le ciel bleu pâle où s’effilochent des nuages. Un bout du monde ? Une thébaïde ? Le refuge-repaire de quelque Robinson évadé de la ville pour dialoguer avec une nature rendue à sa pureté originelle ? Une source d’équilibre et d’inspiration ? C’est à coup sûr un peu tout cela à la fois qu’Henri Olivier est venu chercher ici. Il y habite depuis vingt ans. Il a tout refait, retapé les bâtiments, domestiqué les végétations et l’eau de la source. La maison a appartenu au début des années 60 à John Spencer-Churchill, le neveu du célèbre homme d’État. Un artiste un rien provocateur si l’on en juge par la fresque qu’il a laissée dans la maison : une grande Cène où les personnages ne sont pas Jésus et ses apôtres, mais des singes, des sortes de gibbons grimaçants et gesticulants. Rien à voir, en tout cas, avec l’œuvre d’Henri Olivier qui met la sculpture en rapport avec la nature, l’environnement, le paysage. Né à Alger en 1955, il est diplômé de l’ENAD de Nice. Depuis toujours, il est passionné par l’art des jardins. Il le pratique et l’a enseigné : de 1994 à 2001, il a été coordinateur pédagogique à l’École Méditerranéenne des Jardins et du Paysage de Grasse. Son travail artistique part de la nature, s’en inspire, dialogue avec elle à travers des sculptures et des installations qu’il présente in situ ou dans des expositions. En 2005, par exemple, il installe 18 œuvres dans le célèbre jardin Serre de la Madone à Menton. Ce chef-d’œuvre botanique a été créé par le Major Lawrence Johnston qui lui consacra une grande partie de sa vie. Olivier ne se contente pas d’y montrer ses sculptures en bois peint ou brûlé et en plomb, il les met en rapport avec le lieu. Inspirées par le jardin, elles entrent en résonance avec lui, en prolongent les architectures et les formes. Des « Portiques », des « Bancs », des « Topiaires » (évoquant l’art de tailler les arbres comme des sculptures), des colonnes riment avec les courbes, les lignes souples et enchevêtrées des végétations. Des « Miroirs d’eau » disséminés dans les allées et sur les pelouses reflètent le paysage, les plantes s’y mirent, des reflets les font scintiller, des formes y frémissent. Des radeaux botaniques flottent sur le Grand Bassin. Dans la volière, des souches colorées semblent donner envol à ce message inscrit en lettres
de néon sur l’ocre du mur : « zéphyr & pace ». Une sculpture sonore égrène le nom des 1800 essences qui poussent alentour. Les textes, les sons, le discours poétique prolongent le jardin, lui font écho, et inversement, il les accueille et les enrichit de sa beauté multiple. Un suspens se crée, une interrogation, une attente annoncée en exergue de l’installation par ces vers de Maïakovski, inscrits sur la terre même du jardin : « L’attente / dans chaque battement du cœur / à mon rendez-vous sempiternel » (Lettre de Paris au camarade Kostrov sur l’essence même de l’amour).
Ombres portées
Quand il présente ses œuvres dans une galerie, Olivier compose ses expositions « comme un paysage ». En 2011, il a ainsi proposé à L’Atelier Soardi, à Nice, une installation sous le titre « Prémisses d’un paysage ». Tout au fond, il avait tracé au néon une ligne horizontale : Ligne d’horizon, 1,618…, point de fuite du regard. Au centre, légèrement décalé sur le côté, se trouvait un olivier planté dans un bac. À son pied, son ombre était figurée par une plaque découpée en acier inox. À l’entrée, un banc en bois d’iroko calciné et en plomb, baptisée Sculpture de l’ombre, accueillait le visiteur. Aux murs et au sol, d’autres œuvres de la série « L’ombre de l’ombre », des souches calcinées et leurs ombres découpées dans des plaques d’acier inox… Au spectateur d’imaginer la suite, de composer à partir des éléments épars l’ensemble du paysage, de l’évoquer, de le faire vivre. En 2012, à la Galerie des Ponchettes, Olivier reprenait l’itinéraire amorcé à L’Atelier Soardi, en prolongeant sa réflexion sur l’ombre, avec une exposition qui lui était dédiée : « Suivre le mouvement de l’ombre ». Cette invite était inscrite en lettres de plomb sur un tronc calciné. Aux murs, Olivier développait sa série « L’ombre de l’ombre », où l’ombre, habituellement mouvante, dessinant sur le sol des anamorphoses de l’objet dont elle est issue, est figée, arrêtée, et se fait réfléchissante, reproduisant sur sa surface en acier inox le décor ambiant. L’objet et son ombre représentée peuvent à leur tour jouer avec l’ombre réelle, qui se déplace autour d’eux. Apparaissent alors des formes abstraites qui rappellent ces tests proposés par les psychanalystes où les patients doivent projeter leurs visions et leurs fantasmes. Une vidéo de 20 mn, Film de l’ombre, permettait de suivre le mouvement de l’ombre d’un drapeau flottant dans le vent. Ce qui frappe, c’est que le travail sur l’ombre proposé par
Olivier n’est pas inquiétant comme la symbolique qui lui est traditionnellement attachée. Dans les mythologies antiques, l’ombre incarne les enfers. Plus tard, elle est associée à des personnages maléfiques, mais aussi à ces pulsions inquiétantes que chaque individu dissimule dans son inconscient. Les sculptures d’Olivier échappent à cette fatalité métaphorique. Elles nous invitent à la rêverie, à la contemplation, comme le suggère ce texte figurant sur une œuvre de l’artiste, installée au MAMAC de Nice : « Que faire en un lieu à moins que l’on y songe ». Eh bien, songeons, laissons nous entraîner sur un chemin poétique qui nous murmure les mots d’équilibre, de sérénité, d’apaisement, et dessine, allons, risquons le mot, les contours d’une harmonie que ni le vent, ni l’orage ne parviendront à troubler.
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