Gilles Miquelis
la peinture vérité
Gilles Miquelis est peintre. Il fait de la peinture figurative. Et rien que de la peinture. Si on lui demande pourquoi, il se borne à répondre : « J’ai toujours voulu faire ça… Je ne dis pas que je n’utiliserai jamais d’autres techniques, comme la sculpture, la photo ou la vidéo, mais en ce moment c’est la peinture… » D’où lui vient cette envie de peindre, on pourrait dire cette passion, tant elle est forte ? A coup sûr de son enfance. Gilles est né en 1976 à Nice, dans une famille d’artistes. Son père est dessinateur de bandes dessinées, et son oncle n’est autre que Louis Cane, membre du mouvement Supports-Surfaces dans les années 60/70, et figure reconnue de l’École de Nice. Tous deux ont influencé et formé le petit Gilles. « J’ai beaucoup appris en les regardant travailler. Au moins autant qu’aux Beaux-Arts… » Pour lui, en tout cas, pas de doute : il sera peintre. Adolescent, il entre à la Villa Thiole, l’Ecole Municipale d’Arts Plastiques de Nice. Après deux ans d’études, il intègre les Beaux Arts de Montpellier avec toujours la même idée : devenir peintre. Et pourtant, ce n’est pas dans l’air du temps. « Les années 96/2000, se souvient-il, c’était une période morte pour la peinture. On nous disait tous les matins, il faut arrêter, il faut faire autre chose, la peinture c’est fini. Sur 200 étudiants, on était quatre à vouloir faire de la peinture. » Mais Gilles persiste. En 2001, il obtient son diplôme et revient à Nice. « En sortant de l’Ecole, raconte-t-il, j’ai dû travailler pour gagner ma vie. Je voulais être artiste aussi. Je me suis retrouvé dans un lieu qui était assez grand, mais sans électricité. C’était plus un squat qu’autre chose. Pendant un an, j’ai pas mal produit, mais sans exposer. C’était très difficile. Je suis entré comme dessinateur scientifique au Laboratoire de la Grotte du Lazaret (un site préhistorique situé à Nice. Ca m’a été très utile. Ca m’a permis de préciser mon dessin. » C’est là aussi qu’il prend le goût de travailler sur papier calque. C’est en effet le support qu’il utilise pour ses dessins archéologiques. En 2004, il peut organiser sa première expo à Paris. Mais ce n’est pas gagné pour autant. Il a de plus en plus de mal à s’en sortir. En 2007, il envisage même d’arrêter. Heureusement, Martin Caminiti, le directeur de la Villa Thiole, lui apporte une aide précieuse. Il l’engage comme professeur. Grâce à cet emploi, Gilles a pu continuer à peindre. Il s’est trouvé un nouvel atelier dans un immeuble, situé rue des Anciens Combattants en Afrique du Nord, à Nice. En 2013, il a participé à l’exposition « Bonjour Monsieur Matisse » au Mamac (Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice), Et il préparait deux nouvelles expos, une à la Galerie Martagon, à Malaucène, et l’autre, chez Lola Gassin, à Nice.
Les accidents de la normalité
Gilles Miquelis utilise la peinture à l’huile. Il peint sur toile, mais aussi sur papier calque et rhodoïd. Pourquoi le papier calque ? « Je cherchais une façon de proposer simplement une idée. Pour la mettre en valeur, je voulais évacuer le support. En même temps, ça fonctionnait un peu comme une projection de cinéma. La lumière passant à travers le papier projetait une image sur le mur. J’utilise la couleur et le noir et blanc. Le noir et blanc me sert beaucoup pour réaliser des croquis préparatoires. Après j’enchaîne sur la couleur et en général, ça se termine sur toile. »
Les sujets ? Gilles les trouve en observant ce qui se passe autour de lui. Il se veut l’observateur attentif de la réalité. Il y pique des images de la vie quotidiennes, des situations insolites, cocasses, révélatrices des travers de notre société. Par exemple, « ces dimanches dans des arrière-cours d’immeubles ou de maisons, parfois propres, parfois sales, cela dépend », dit-il. On y voit de vieux bidons, des chiens, des objets à l’abandon. Gilles leur associe des femmes nues ou en monokini. Il nous transporte aussi sur des plages de nudistes, au golf, ou dans des terrains vagues. Certains nus sont peints d’après modèles, en atelier, comme à l’époque classique. D’autres images viennent des journaux, de la tv, d’internet. « C’est une banque de données, un flux qui passe par l’atelier et que je peux utiliser, dit-il. Ce qui m’intéresse, c’est de sortir de la banalité, montrer le côté exceptionnel de certaines situations. Avec toujours une pointe d’humour. J’évite les images trop sérieuses.» Véritable « reporter », saisissant le réel comme un photographe le fixerait dans son appareil, Gilles peint sur le vif avec un souci de vérité, pas question de trahir et de déformer le sujet au travers d’une peinture trop léchée. S’il revendique parmi ses « références » Edward Hopper, il s’en éloigne par la manière : « Il a un côté propre, très lumineux, dit-il. Moi, au contraire, ce qui m’intéresse, c’est la surexposition. J’aime bien avoir des contrastes. Mes peintures, c’est comme des polaroïds. Des fois, elles font plus penser à un croquis qu’à une peinture figurative. Certaines sont plus poussées, d’autres un peu moins. Elles sont faites très vite. Une toile de 2 mètres me prend moins de deux heures. Le meilleur moyen de travailler, ce serait de peindre sur place, comme un photographe capte une image. J’essaie de coller à une espèce d’excitation mentale. Il ne faut pas trahir l’idée. Il faut la réaliser rapidement. Si on passe trop de temps, on s’en éloigne. Je transpose ainsi des moments ressentis, un souvenir, un sentiment ou des choses déjà vues. Je ne peux pas faire tout en imagination. Il y a un regard, un cadrage assez photographique, comme au cinéma. »
Les tableaux, dessins et calques de Gilles Miquelis nous livrent ainsi des instantanés de notre vie quotidienne, des images parfois cruelles, parfois tendres, mais toujours révélatrices. Brossées à grands traits, en noir et blanc ou dans des teintes mates, sourdes, « surexposées », elles semblent tirées d’un fait divers ou d’un film à suspense. Donnant à voir ce que le critique Jacques Henric a appelé « les accidents de la normalité », elles nous questionnent et nous intriguent, nous font sourire et nous troublent, en même temps. Faussement classiques et terriblement contemporaines, elles nous rappellent que le tableau est bien cette « fenêtre ouverte sur le monde », dont parlait en 1435, le critique italien Leon Battista Alberti. Sur le monde, donc sur l’art et sur nous-même.
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