François-Xavier Orsini
la métamorphose des images
C’est une caractéristique de nos sociétés médiatiques : nous vivons parmi les images. D’internet à la téléphonie mobile, via la TV, le cinéma, la publicité, la presse écrite ou les livres, elles nous entourent, nous pénètrent, nous influencent, nous imprègnent. On peut accepter d’en être le reflet, fidèle et obéissant, mais on peut tenter d’en modifier le cours en préservant sa liberté. C’est le choix de François-Xavier Orsini : il les détourne, les relit à sa façon, pour produire des œuvres souvent surréalistes qui font rêver, mais aussi réfléchir.
Pour atteindre ce but, il utilise différentes techniques : dessin, sculpture, vidéo, graphisme… « Ma personnalité et ma curiosité, dit-il, font que je me refuse à me spécialiser dans tel ou tel moyen d’expression. J’éprouve sans cesse le besoin d’explorer des voies nouvelles. »
Alors qu’il est encore à la Villa Arson (l’Ecole Nationale Supérieure d’Art Plastique de Nice, dont il est sorti diplômé en 2005), il aborde le thème de la musique. A la différence de Christian Marclay, il réalise des pièces qui s’intéressent plus à l’objet disque qu’au son qu’il émet. Un premier travail utilise des disques vinyle de variété française des années 60/70. Il en prend des empreintes au moyen d’une technique de gravure, en jouant au passage sur le mot graver utilisé aussi pour désigner la fabrication des microsillons. Puis il imprime une image du disque, donnant naissance à des reproductions très graphiques.
Poursuivant ses recherches, il crée ensuite des objets « vinyle ». A l’aide du transcryl, un plastique liquide utilisé en imprimerie pour retranscrire l’écriture typographique, il fabrique des disques en plastique souple et transparent qui restituent une nouvelle musique. Cette dernière et tous les éléments qui la composent (notes, voix, rythmes..) sont inversés. De la sorte, ces « disques » font écho à l’effet dit « reverse » ainsi qu’au « loop » ou à la boucle utilisés dans la musique techno ou le rap.
Orsini revisite aussi des pochettes de disques. A l’aide d’un stylo bille et d’un blanco, il transforme le visage des chanteurs qui y figurent, en simulant un processus de vieillissement : il noircit des dents, ajoute des rides, modifie les coiffures, les expressions etc.., Ces portraits « kitsch », espiègles et grinçants, portent, en guise de titres, le prénom de chacun des chanteurs soumis à cette étrange chirurgie plastique, « comme s’il s’agissait de portraits de famille ».
La liberté en mouvement
Orsini s’oriente ensuite vers le dessin et la sculpture. « Je cherche, dit-il, à faire ressortir la force des images et leur face cachée. Mon but est de confronter et de mettre en exergue le rapport passé/présent, le détournement et le re-dessin. En utilisant principalement le design et l’architecture comme référents, je cherche à illustrer l’opposition entre le fonctionnalisme et le formalisme. Je ne peux pas avoir un avis radical entre le less is more de Mies van Der Rohe et le less is a bore de Robert Venturi. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer, souvent de manière détournée, humoristique et déroutante, un équilibre ou un jeu de va et vient entre l’organique et la mesure. »
Dans une première série de dessins, il reprend des procédés utilisés au XVIIIème siècle, notamment la technique des trois crayons : sanguine, craie noire et crayon blanc. Mais en la détournant. Il utilise ainsi du papier kraft et part d’images puisées dans des magazines d’architecture et de design, qu’il retransforme et réinterprète. Ses dessins font dialoguer entre eux du mobilier, des animaux, la nature… Exemple : une pieuvre démesurée ou septempus rebaptisée par l’artiste, se prélasse dans une baignoire de salle de bain. Le mouvement des tentacules, qui se confondent avec le décor végétal placé en arrière-plan, vient rompre avec la rigidité et la rigueur architecturale du lieu, instaurant une relation intérieur/Extérieur particulière.
Dans une autre série, il provoque un choc formel entre géométrie et nature. Avec « un souhait de désacralisation », il orchestre une rencontre « fortuite » entre art minimal et Arte Povera, en s’amusant à dessiner des animaux/sculptures, dont le corps géométrique est articulé à des branches simulant les pattes de l’animal. Ce procédé peut aussi être utilisé pour des sculptures. « Flip-Flap » se compose ainsi d’une planche de skate tenue en équilibre par des branches de bois, formant une sorte d’animal étrange.
Humour, encore, et dédramatisation, avec une série de sculptures qui propose de classiques têtes de fantômes (drap blanc percé de deux trous), mais en céramique, comme si ces spectres étaient tombés dans un bain de faïence et s’étaient trouvés pris au piège, figés dans une matière solide. Ce travail permet d’instaurer un jeu subtil sur les relations visible/invisible, présence/absence, matériel/immatériel.
Le choix des techniques et des différents outils de dessin suit une logique induite par les idées. Selon ses projets, Orsini passe du kraft au Canson et peut utiliser la pierre noire et la sanguine autant que des crayons traditionnels. Dans le dessin « Conversation », il emploie ainsi le papier blanc et les classiques crayons de couleurs. Il part d’un objet design, le fauteuil Pélican créé par le designer danois Finn Juhl. Il en dispose plusieurs comme pour une conversation, sauf que personne n’y est assis. Ces fauteuils sont reliés par une traînée transparente, aérienne, réalisée au moyen d’un scotch qui a permis par retraits d’en pâlir les couleurs. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que cette traînée a la forme du chrisme (le X et le P mêlés), symbole du Christ. Le Pélican renvoie lui aussi à la tradition chrétienne : il se perce le torse pour offrir son sang à ses petits, symbolisant de la sorte le Christ qui verse son sang pour le salut du genre humain.
Par détournement, relecture, hybridation, Orsini produit des images qui interpellent le spectateur avec force. Combinant différentes techniques et niveaux symboliques, elles l’arrachent aux images toute faites, issues des médias ou de la culture, pour créer un univers étrange et déroutant, qui suscite l’interprétation, de la même manière qu’elles ont été produites : en toute liberté.
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