Éric Andréatta
La maison dans les arbres
En venant d’Antibes, vous traversez Vallauris et prenez le Chemin de Notre-Dame, puis celui des Pertuades. Vous passez une belle Chapelle de pierres, la Chapelle Notre-Dame des Grâces, qui, ce jour-là, se découpe sur un paysage de carte postale : grands arbres plaqués contre un ciel bleu, bleu, bleu, bout de mer couronné d’un bouquet de feuillages. Vous descendez encore quelques centaines de mètres, et vous y êtes : sur votre gauche, vous prenez un chemin de terre qui file dans la forêt ; au bout, une clairière où campe une maison. C’est là qu’habite, vit et crée Eric Andréatta. Vit et crée car, très vite, on devine que pour lui, c’est du pareil au même : il vit pour créer et crée pour vivre. Les deux vont de pair. Le lieu où il habite se confond d’ailleurs avec celui où il travaille. Sa maison est une maison-atelier. C’est lui qui l’a conçue, qui en a dessiné les plans et qui l’a construite. Cela lui a demandé trois ans et demi. Elle est bâtie sur pilotis, au beau milieu d’une forêt de chênes verts.
À l’étage, il a installé les pièces à vivre : grand salon, cuisine, salle à manger, salle d’eaux, wc, chambre,
bureau… Au sous-sol, l’atelier. Les murs extérieurs sont peints à la chaux. Partout, d’immenses baies vitrées qui laissent pénétrer la lumière. Tout autour des arbres, un jardin en évolution permanente avec de petites « restanques » où Éric cultive ses légumes. Les meubles, c’est aussi Éric qui les a chinés, récupérés ou créés lui-même. Car il a des mains en or, c’est un homme à tout faire, un fabuleux artisan, menuisier, maçon, décorateur, artiste, qui sait bricoler, transformer, arranger : l’utile comme le futile, ou l’apparemment tel, le neuf comme le rebut, le rare comme l’ordinaire, tout lui est bon. Sa maison-atelier est un microcosme où l’esprit se laisse aller à rêver, fabuler, inventer, mais aussi à réfléchir. Elle se parcourt comme un rébus, où le spectateur, intrigué, va de surprises en interrogations. Il découvre, par exemple, un paravent laqué sur lequel un spot vient faire scintiller des hameçons munis d’appâts artificiels qui, sous cette lumière, deviennent des sortes de diamants scintillants, mais piégeux (qui s’y frotte s’y pique ! ). Il peut aussi jouer d’une étrange guitare, dont les cordes sont des fils de fer barbelés. Ou bien caresser, comme un aveugle lirait un livre en Braille, un drap de lit, sous lequel il sent des formes qui se révèlent être des corps de pin-ups. Dans le salon, il aperçoit une cage où sont enfermés des mètres métalliques. Au mur est accrochée une étrange bouée de sauvetage sur laquelle sont plantés des tessons de bouteille…
donner à voir et à penser
À rieur, rieur et demi, telle pourrait être la devise d’Éric. C’est un artisan doublé d’un héritier de Dada et des Surréalistes. Ses objets et ses installations mêlent habileté technique, force visuelle, humour, canular,
paradoxe, étrangeté. Durant l’été 2010, il a installé 2000 verres pleins d’eau posés sur des tables, calées avec des livres de philosophie, devant le retable de la Chapelle de la Miséricorde à Vallauris, sur lequel un appareil projetait une diapositive de ce même retable de façon à le flouter. Il peut tout aussi bien recréer dans un bac un bout de plage avec de vrais galets et des vagues clapotantes. Réaliser d’étranges accumulations salines en faisant couler de l’eau saturée de sel sur des poutres métalliques chauffées en certains endroits où l’eau se vaporise, y déposant le sel qu’elle contient. Se servir d’une porte de frigo comme d’un monochrome, sauf que, dit-il, « comme cela a déjà été fait (le mono-chrome) », il le transforme non pas « en le lacérant comme aurait fait Fontana », mais en plaquant à la surface des bandes aimantées du genre de celles qu’on installe sur le pourtour intérieur des portes de frigo pour les fermer.
Ces bandes pouvant se déplacer, on peut former à sa guise, des figures de son choix. À vous de jouer, en somme ! Mais, vous l’aurez compris, il est urgent de décrasser votre esprit. La dernière scénographie qu’Éric vient tout juste d’achever, en fournit une preuve éclatante, qu’il s’empresse d’ailleurs de vous administrer. Pour commencer, il vous installe dans un confortable fauteuil. Devant vous, un mur blanc sur lequel est projetée une diapositive qui représente un port un où est amarré un bateau. Sur le quai passe un homme accompagné d’un enfant. L’image est barrée par des pelles disposées comme des barreaux de fenêtre ou de prison. Sur le sol, à vos pieds, sont posés un bout de branche desséchée et une bande magnétique chiffonnée. Au plafond, entre vous et l’image, est suspendu un poids accroché au bout d’un fil. Éric le fait osciller devant vos yeux, à la manière d’un pendule.
Il branche une musique classique ou plus rock, au choix, et le voyage peut commencer… Peu à peu, votre attention est captée par le mouvement de balancier du pendule, par la musique, l’image du port et du bateau, qui évoque l’évasion, le rêve. Vous voilà emporté hors du temps, loin de la réalité sinistre suggérée par les pelles, le bout de bois et la bande magnétique, qui, du coup, se trouvent chassés de votre esprit, anéantis. Il y a du provocateur et du bon vivant, chez Eric Andréatta.
C’est un passeur, un hôte attentif, qui fait réfléchir et rêver, sans contraindre, avec un plaisir gourmand. Son art est aussi un art de vivre.
Quand il reçoit chez lui, dans la maison-atelier qu’il s’est fabriquée, c’est avec générosité et chaleur (sa cuisine, mitonnée et servie à la bonne franquette, est aussi succulente que sa joie de vivre est communicative), et, lorsque vous le quittez, vous vous sentez plus léger, délesté d’un encombrant sur-poids de morosité. Sans en avoir l’air, en guise d’ultime cadeau, il vous a fait l’offrande du bien le plus précieux : la liberté, lucide et amicale.
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