Charlotte Pringuey-Cessac
le dessin dans l’espace
Durant ses années de formation à la Villa Thiole (l’Ecole Municipale d’Arts Plastiques de Nice), puis à la Villa Arson (l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Nice), Charlotte Pringuey-Cessac ne s’intéresse pas qu’aux arts plastiques, mais aussi à l’architecture et au dessin animé. L’architecture, parce qu’elle met le dessin en perspective, le projette dans l’espace. L’animation, parce qu’elle lui donne vie et mouvement. Après son diplôme à la Villa Arson, obtenu en 2007, elle complète sa formation avec un Master II Patrimoine Architectural aux Universités de Nice et de Gênes.
Dès 2006, elle expose ses premiers travaux. Son art de prédilection, c’est le dessin. Mais selon une technique particulière. Comme support, elle utilise, en effet, le papier, classique ou calque, mais aussi les murs. Comme outil, la pierre noire et surtout, le charbon de bois. Ce matériau rappelle l’art pariétal : les hommes préhistoriques l’utilisaient déjà pour peindre sur les murs des cavernes. Issu de la carbonisation du bois, il évoque une nature primitive, brute, dépourvue des apprêts de la civilisation. À travers lui, on renoue avec le monde des premiers hommes, mais aussi des cosmogonies antiques. Le monde de l’eau, de l’air, de la terre, du feu. Le monde des origines, où le merveilleux le dispute au maléfique. C’est en lui que plonge le travail de Pringuey-Cessac. Elle reprend le geste des premiers hommes et le fait revivre au présent. Il n’est pas indifférent qu’elle travaille la nuit, éclairée par un projecteur. La nuit, dit-elle, c’est le moment où l’on peut le mieux se concentrer pour plonger au plus profond de soi-même. C’est aussi l’obscurité, qui rappelle celle des cavernes. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce retour au primitif n’a rien de rétrograde ou de nostalgique, bien au contraire, il est résolument contemporain. Le passé, en effet, n’est pas convoqué pour lui-même. Ni pour exalter un état de nature jugé paradisiaque. Rien d’écologiste ou de primitiviste dans la démarche de Pringuey-Cessac. À travers un geste artistique qui confine au rituel, c’est l’archaïque, l’irrationnel, le sensible, qui sont en jeu. Pringuey-Cessac dans le même temps qu’elle signifie qu’ils sont toujours là, que l’art, ni la science n’ont réussi à les conjurer, nous en révèle la farouche beauté, tout en les mettant à distance par la représentation.
Walldrawings & sculptures
Les dessins muraux de Pringuey-Cessac s’inscrivent dans l’architecture du lieu où ils sont réalisés. Dans « Eau, Feu, Infini » (2014, à la Galerie Vautier à Nice), le dessin se développait autour de trois « réserves » blanches qui convergeaient vers un même point de fuite, comme si elles plongeaient dans le mur, happant le spectateur dans une sensation de mouvement vertigineux. Le titre décrivait l’œuvre. Eau pour le paysage sous-marin représenté par le dessin. Feu pour le charbon de bois. Infini pour la perspective formée par les « réserves » blanches. Ce dessin était rigoureusement éphémère : il a été effacé à l’issue de l’exposition. Il n’en restera qu’une trace photographique. Seuls les dessins réalisés dans le cadre de commandes privées ou publiques sont pérennisés au moyen d’un fixateur. C’est le cas de celui de l’Ecole des Sciences Politiques de Menton, daté de 2011. Les dessins sur papier utilisent une technique similaire. Ils sont réalisés au charbon de bois ou à la pierre noire sur des feuilles le plus souvent de grand format.
Les sujets donnent à voir une nature sauvage, foisonnante : la forêt, les frondaisons des arbres, la mer (algues, étoile de mer, pieuvre, poulpe). Certains dessins font surgir des présences menaçantes tels ces « Ghillie Ghillie », qui font référence aux « Ghillie suit », ces tenues de camouflage qui imitent des feuillages. Destinées aux chasseurs ou aux soldats, elles évoquent aussi les « yokaï », ces créatures surnaturelles du folklore japonais. La menace qu’elles suggèrent est mise à distance par le titre, qui fait penser à des chatouilles censées nous faire rire, à moins que la fiction ne devienne réalité, sait-on jamais.
Le dessin se prolonge par des sculptures et des installations. Le charbon de bois est alors traité comme une matière première que l’artiste façonne et travaille. Sous forme de morceaux, assemblés et plaqués sur des murs, il permet de composer des sortes d’excroissances, comme un dessin mural qui surgirait de la surface plane par extrusion, pour entrer dans la troisième dimension. En 2010, à l’occasion d’une manifestation organisée par l’UMAM (Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne), elle réalise ainsi « Forêt », dans une salle voûtée du Château-Musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer. Cette installation lui vaut d’être distinguée par le prix Bonnard.
Pringuey-Cessac travaille aussi à la tronçonneuse des blocs de bois de couleur claire. Les coupes sont noircies au charbon de bois, révélant les traces de la scie, qui s’opposent aux formes organiques des parties non découpées. Ces blocs de bois peuvent aussi être complètement carbonisés. C’est la technique utilisée pour les « Melancoliaceae », inspirées par La Melencolia I de Dürer. Ces sculptures font songer à des débris de combustion ou à des fossiles surgis de la nuit des temps. Elles ont été réalisées dans les usines de la Forestière du Nord, premier producteur français de charbon de bois, devenu depuis 2010 le mécène de l’artiste.
L’œuvre de Pringuey-Cessac est habitée par une tension constante. Elle excelle à faire varier les rythmes. L’ombre y joue avec la lumière, la réalité avec la fiction, la clarté avec le mystère. La puissance de certaines compositions contraste avec la pauvreté du matériau. Le monumental, avec une extrême économie de moyens. On passe ainsi des dessins muraux aux dimensions spectaculaires, à des pièces « minimalistes » d’une infinie délicatesse, comme cet étonnant « Baiser » (2014), suggéré par deux bouts de bois carbonisés, légèrement incurvés, qui sont posés l’un contre l’autre, s’effleurant à peine. Ou encore, ces « Gommes » alignées en carré sur une plaque couverte de sable. Et qui, avec une extrême simplicité, résument toute l’œuvre, lui servant d’incipit et de symbole à la fois. L’outil de travail : la gomme. Et son esprit : la fidélité à des moments forts, dont le souvenir reste gravé dans la mémoire.
Leave a Reply
Want to join the discussion?Feel free to contribute!