Armand Scholtès
le chant du monde
Il faut imaginer un enfant de Lorraine, de Moyeuvre-Grande, pour être précis. C’est là qu’est né Armand Scholtès, le 6 septembre 1935. La ville est au cœur de la sidérurgie lorraine. Le spectacle des usines et de leurs fumées ne fait guère rêver le petit Armand. Il n’a d’yeux que pour les vertes collines qui dominent la vallée. Là-haut, tout est lumière, verdure, couleurs. Bien vite, c’est là qu’il va diriger ses pas. « Pour sortir de l’enfer des vallées, raconte-t-il, je montais sur les hauteurs… » A 14 ans, il achète son premier chevalet et il part, chevalet sur le dos, parcourir les collines. Il aurait pu faire les Beaux Arts, mais, non, ça ne le passionne guère. Son maître, son école, son atelier, ce sera la Nature. Pour le reste, il veut se construire par lui-même. Il apprend et exerce plusieurs métiers, mais à partir de 30 ans, il se consacre uniquement à l’art. Bien qu’il s’intéresse au travail des autres artistes, qu’il cherche à le connaître, à le comprendre, il refuse les étiquettes, les tendances, les écoles. Cela lui paraît trop formaté, trop prévisible et d’une certaine manière, trop contraignant. Pour s’exprimer, il a besoin de liberté, de fraîcheur, d’innocence. A ceux qui voudraient l’embrigader dans un groupe, on imagine qu’il répondrait tel le Bartleby de Melville, « je préférerais ne pas… » Bien sûr, il reste attentif à ce qui se fait. Il croise les grands courants de l’époque : l’art brut, l’art concret, l’arte povera, Supports-Surfaces, Les Nouveaux Réalistes. Par la force des choses, il subit des influences, mais jamais il n’adhère, ne se fixe à une conception de façon définitive. Sa manière, son style viendront d’eux-mêmes, en suivant sa voie, sur les traces de la Nature. N’est-elle pas le plus merveilleux, le plus inventif des créateurs ? Quel bonheur de peindre, de dessiner ou de sculpter comme elle enfante les plantes et les fleurs, fait croître les arbres, cisèle et façonne les roches, les pierres, dépose les sédiments, libère et fait scintiller les sources, cascader les rivières. Le spectacle qu’elle offre est infini, vaste et lumineux. Et toujours, il se renouvelle. Sans cesse, tout passe, tout change. L’inspiration de la Nature est inépuisable. Et Scholtès s’efforce de régler son travail sur ses cycles, sa respiration ample et majestueuse. De tous côtés, elle suggère l’indicible, l’incommensurable. Son rayonnement infini rassemble la diversité en un tout miraculeux, sans qu’on puisse dire pourquoi, ni comment. Certains y voient l’œuvre de Dieu, d’autres, la marque de l’Être. Scholtès ne donne pas de réponse. Il parcourt la Nature, emmagasine des sensations, des images, des couleurs, des formes. Ensuite, de retour chez lui, il peint, dessine, sculpte, retranscrit ce qu’il a vu, laisse sa mémoire guider sa main sur la toile, le papier ou le matériau qu’il a choisi : pierre, bois… peu importe le support ! « Je ne veux rien m’interdire », dit-il. La curiosité est inhérente à cette marche à travers la Nature qui, pour lui, est le moteur de la création. Surtout, ne pas trahir la diversité qu’il aperçoit autour de lui. Car la diversité est richesse.
Que ma joie demeure…
En 1986, c’en est fini de la Lorraine, il quitte sa ville natale pour la Côte d’Azur. La région compte de nombreux artistes. Scholtès les côtoie et les fréquente. Il suit les courants et les mouvements, les groupes et les tendances, qui se font et se défont au gré du temps qui passe. Mais il ne varie pas pour autant, il reste fidèle à sa ligne de conduite : la Nature, encore et toujours, comme inspiratrice et modèle. Tout juste troque-t-il les vertes collines lorraines contre le littoral et l’arrière-pays niçois, qu’il parcourt et re-parcourt en tous sens. De ses promenades, il rapporte formes, couleurs, idées, qui donnent naissance à une œuvre protéiforme, en expansion continue, marquée par des tonalités, des traits reconnaissables, mais qui évoluent sans cesse. Il dessine et peint des végétaux, des plantes, des arbres. Des minéraux, dont il reproduit la texture, les strates, les marques d’érosion, la surface où croissent les lichens, les mousses, les taches de rouille. Il suit le tracé des sédiments, des strates, des plis, en épouse la géographie sinueuse, les courbes, les variations de couleurs et de rythmes. Fait surgir des paysages, des instantanés, des moments de grâce, comme autant de visions fugitives fixées par le pinceau ou le crayon. De ses promenades, il ramène aussi des objets, tels ces bois flottés qu’il ramasse sur les plages. Il les peint, les habille de bouts de tissus colorés, les couvre de motifs, de signes, de taches : ronds, traits, croix, hachures… Sous sa main habile, les voilà devenus totems, emblèmes de sa mythologie intime. Tableaux, dessins et sculptures peuvent donner naissance à des livres, à des carnets ou à des installations qui présentent objets et fragments dans des vitrines ou des boîtes. Comme le pollen dans l’air, ses œuvres essaiment à tout va. Tapissent les murs de son appartement, qu’il lui arrive aussi de couvrir de fresques, comme celui des Baumettes, à Nice. Se disséminent à travers des expositions, dans des musées et de nombreuses collections particulières. On songe, en les voyant, à de grands herbiers de botanistes, à ces relevés établis par des minéralogistes, des cartographes, des géologues, ou bien encore à des vestiges accumulés par des archéologues qui en interrogent le sens pour livrer les clés de civilisations inconnues. Scholtès est tout cela à la fois, arpenteur de la Nature, explorateur, archéologue de la mémoire, philosophe aussi d’une certaine manière, poète à coup sûr, musicien sans nul doute (on imagine qu’il doit aimer Bach, que le rayonnement de ses fugues, la splendeur de ses cantates doivent l’inspirer). Sans relâche, il fouille, il cherche, suggère des directions possibles, donne à voir des signes qui n’ont pas livré toutes leurs significations. Depuis plus de 50 ans, cette tâche suffit à son bonheur. A 79 ans, il a conservé une fraîcheur intacte, il irradie toujours cette ferveur qui, adolescent, le poussait vers les hauteurs de sa Lorraine natale. Tous les jours, artisan infatigable, sourcier inépuisable, il travaille, il peint et dessine dans son petit atelier niçois, émerveillé à l’idée de faire surgir l’infini d’un « petit coin de table ».
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