Dominique Thévenin
la sculpture en mouvement
Sido et François, les parents de Dominique Thévenin, sont sculpteurs. Venant de Paris (où Dominique est né en 1955), ils s’installent, en 1958, dans une « maison-atelier » à Cannes-La Bocca. C’est là que Dominique fait ses premières armes. Il apprend le dessin mais aussi les techniques utilisées par ses parents. Après des études à la Villa Arson, l’Ecole Nationale d’Art de Nice, il retourne à Cannes. Dans l’atelier de ses parents, il réalise des collages et ses premières sculptures. Après le décès de sa mère en 1986, il travaille quelques mois dans un atelier de serrurerie au Cannet. En 1988, il installe son premier atelier d’artiste dans des poulaillers industriels désaffectés, aux Clausonnes à Sophia-Antipolis, près d’Antibes. Il travaille à l’époque sur le métal forgé. Déjà, il recycle des matériaux issus de la production industrielle : IPN, cuves, tubes, poutrelles… Cette orientation ne fera que se renforcer par la suite. Comme son goût pour les friches. Peut-être parce que les loyers y sont plus bas qu’ailleurs, mais aussi parce que les friches l’inspirent. Il est attiré par cet horizon post-industriel où les lieux et les matériaux, désormais abandonnés, retournent à une espèce d’état de nature, subissant la loi des éléments : pluies, vents, érosion, lente dégradation d’une usure désormais étrangère à leur utilisation par l’homme. Ces lieux et ces matériaux fonctionnent aussi comme les traces d’un passé voué à l’oubli. Ils sont des objets de mémoire, chargés de mystère et de nostalgie.
En 1993, Thévenin s’installe dans une autre friche industrielle à Mouans-Sartoux. En 1997, on le retrouve à Saint-Jacques de Grasse. En 2000, il déménage dans un local qui faisait partie d’anciens ateliers de chaudronnerie, toujours à Grasse. C’est dans ce quartier que l’on fabriquait du matériel destiné aux parfumeries aujourd’hui disparues ou déplacées.
Thévenin recycle toujours des pièces métalliques qu’il peut trouver ici ou là, dans des friches ou sur des chantiers, comme à Saint Tropez, où il récupère des aciers qui ont soutenu un ponton démantelé… Ces matériaux, qu’il conserve bruts, il les retravaille, les intègre à ses sculptures. Sauf que sa manière, au fil du temps, a évolué. Depuis le début des années 1990, il cherche à intégrer le mouvement, à le domestiquer pour réaliser des sculptures qui associent pesanteur et légèreté, robustesse et fragilité, fixité et mobilité.
Danse avec l’acier
Le travail de Thévenin s’inscrit dans un courant ancien, dont l’origine remonte au XX ème siècle. Depuis toujours, les sculpteurs s’efforcent de donner le plus de vie possible à leurs œuvres, condamnées à l’immobilité. Pygmalion, dans les Métamorphoses d’Ovide, va plus loin encore. Il demande à Aphrodite de transformer en être vivant la statue de Galatée qu’il vient de réaliser et dont il est tombé éperdument amoureux. La déesse exhausse son voeu et Pygmalion peut aimer Galatée dont il aura deux enfants : Paphos et Matharmé.
Il faut attendre la révolution industrielle et le développement des techniques pour que les artistes, futuristes en tête, partent à la conquête du mouvement. Les premières sculptures animées apparaissent dans l’entre deux guerres. Cette tendance se renforce dans les années 50 avec l’art cinétique et l’op’art. Les œuvres bougent, s’animent, soit réellement, soit sous l’effet d’une illusion d’optique. Calder invente les mobiles qui dansent dans l’espace. Tinguely crée des sculptures animées par des moteurs. En perspective, on voit poindre l’idée d’une œuvre totale qui combinerait couleurs, formes, mouvements et sons.
Thévenin puise dans cette tradition, mais de manière originale. Il utilise des formes simples articulées par des axes dissimulés à l’intérieur de la sculpture. Elles donnent une apparence de lourdeur, de massivité, mais au moindre souffle de vent, elles s’animent, selon des mouvements souples, extrêmement fluides. Les matériaux bruts qu’il utilise, les fers rouillés, les poutrelles, les IPN qui peuvent peser des centaines de kilos, ont l’air de danser dans la brise avec une élégance insoupçonnée, comme s’ils étaient en a-pesanteur.
Dès 1993, les « Apodes », des cylindres de métal, dont le nom renvoie à des êtres « sans bras, sans ailes, sans pattes », deviennent l’un des symboles de la statuaire mise au point par Thévenin. Ils peuvent fonctionner en solitaires ou en groupes pour composer des ensembles à géométrie variable, dont le mouvement paraît aussi impalpable que mystérieux.
« La Grosse Ronde » (1999) est composée de 2 fonds de cuve en acier de 2 mètres de diamètre, mis en équilibre sur un axe en acier raccordé à un profil d’IPN émergeant en oblique du sol. La pièce pèse près d’une tonne et, pourtant, elle semble aussi légère qu’une plume.
Les œuvres évoquent parfois explicitement des lieux. C’est le cas avec « V. à fleur d’eau » (2000). Composée de tubes de métal sur lequel sont montés des branches de bois, elle s’inspire de Venise et des piquets où l’on amarre les gondoles. En 2010, Thévenin investit le Lavoir de Mougins avec une installation baptisée « Palabres des hoche-queues ». Deux tubes en zinc mobiles sont placées dans le prolongement l’un de l’autre, au-dessus du lavoir. Chacune se meut comme un balancier sans que jamais leurs mouvements ne s’accordent. Les hoche-queues, ce sont les bergeronnettes qui remuent sans cesse leurs queues. On les appelle aussi les « lavandières ». Dans le contexte de ce lavoir, elles évoquent d’autres lavandières habituées des lieux.
En 2010, Thévenin reçoit une commande pour I.F.A Rotorion, une firme d’équipements automobiles située en Allemagne. A partir d’axes de transmission, il réalise 62 dessins préparatoires au bitume de Judée sur papier glacé. La sculpture est finalisée et installée en Allemagne en 2012.
En 2006, il unit le mouvement au son avec une pièce musicale réalisée pour le compositeur Michel Redolfi. C’est une sorte de métalophone subaquatique. Il est joué pour la première fois lors du concert « Città liquida » à la biennale de Venise 2006.
Simplicité, dépouillement des formes, « pauvreté » des matériaux, l’oeuvre de Dominique Thévenin part de l’acier, de la lourdeur qui l’arrime à la terre, pour créer, par la magie du mouvement, une poésie de l’immatériel, qui, de la pesanteur, fait naître la grâce.
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