Virginie Le Touze
l’air et la chanson
A quoi rêvent les jeunes filles ? Difficile de répondre. Souvent, elles n’osent pas le dire, tant leur parole est contrainte par l’éducation, le sexisme toujours flottant dans l’air du temps, même si celui-ci se prétend libéré des préjugés d’autrefois. Alors, les jeunes filles se taisent ou bien elles s’aventurent sur le terrain de l’art. Qui, aujourd’hui, ne leur est plus interdit, même si le chemin qui y mène, fut dur et semé d’embûches, tant il semblait être la chasse gardée des hommes. Virginie Le Touze a donc choisi d’être artiste. Elle a fait ses classes à la Villa Arson, l’Ecole Supérieure Nationale d’Art de Nice, dont elle est sortie en 2002. Depuis, elle pratique la vidéo et la photo. Mais aussi le chant, qu’elle a appris par elle-même. Ce qui lui a permis de conserver une fraîcheur de néophyte, tout en possédant un vrai talent d’interprète qu’on pourrait dire naturel. Donc elle chante. Quoi ? Des chansons populaires et de la grande musique, elle mêle les deux. Elle utilise surtout des chansons françaises, mais aussi des chansons étrangères qu’elle traduit en français, ce qui peut modifier l’intonation et le rythme, ou qu’elle adapte pour respecter la musique originale. Elle se filme ainsi –ou se fait filmer- en train de chanter « a cappella ». Elle se produit aussi dans des performances elles-mêmes filmées. Les deux exercices sont, pour elle, très différents. Faire une vidéo suppose en effet une composition particulière. Filmer une performance tient plus du reportage ou du documentaire. Après, il y a le jeu, l’interprétation. Le Touze sait théâtraliser, juste ce qu’il faut. Elle joue sur la fragilité de la voix, sur le risque inhérent à une interprétation sans accompagnement musical. Son timbre lumineux fait le reste. Il se dégage de son chant une poésie, une émotion mêlée de sensualité, qui fait mouche. D’autant qu’en filigrane, un zeste d’humour, une pointe de parodie, savamment dosés, mettent l’exercice à distance, signalant la part de jeu qu’il comporte.
C’est ainsi qu’est née la vidéo « Hyperchansond’A (pour Amour) » (2006/2007). Le Touze a mis à la suite des extraits de chansons. Le montage est parfaitement fluide. On passe de l’un à l’autre sans même percevoir qu’il y a eu un changement de texte et d’air. Cela s’ajuste et se combine à merveille comme s’il s’agissait d’une même partition. En cours de réalisation, « Hyperchanson 2 » reprend le même principe. Sur une autre vidéo (« Boy From Ipanema », 2008), elle chante mais on ne l’entend pas. C’est un film muet. Des inserts de textes indiquent les paroles et permettent d’identifier les chansons. Dans « Insomnia » (2005), elle interprète une chanson de Rezvani d’un filet de voix quasi inaudible. Sur l’image, son visage est pâli, presque effacé par un voile de lumière blanche. « Du mou dans la corde à nœuds » (2004) fait place au burlesque : elle forme un trio vocal délirant avec deux partenaires/complices (Joseph Mouton et Eric Duyckaerts). Et quand elle ne chante pas, elle peut lire des textes dont elle est l’auteur, comme « La Petite Insomnie », un conte érotique daté de 2008. Ou alors, elle construit des vidéos sur un mode très musical. Dans « Sapin » (2005), on entend une mélodie d’Eric Satie qu’elle joue au piano (« très mal », dit-elle, en riant) et sur l’écran, on voit un sapin de Noël plongé dans le noir, dont les lumières s’allument et s’éteignent en cadence avec la musique. Dans « Proposition » (2002), des tubes installés au plafond font pleuvoir de l’eau sur des spectateurs avec parapluie. On pense à « Chantons sous la pluie », sauf qu’on ne chante pas. On n’entend que le bruit de l’eau. Une autre vidéo, « Euphorbia » (2005), se développe sur un tempo très musical. Un visiteur se présente chez Le Touze. Il veut photographier une plante qui se trouve sur son balcon, qu’il a vue de la rue et qu’il trouve très belle. Le Touze accepte. Puis lui offre l’apéritif et l’invite à visiter son appartement. On commence par la chambre…
C’est la vie…
Pourquoi le chant et la chanson ? « J’aime bien, dit Le Touze, les textes des chansons, leur rythme, mais surtout leur concision. Ils correspondent tout à fait au style d’écriture que je recherche. Et puis la chanson est partout aujourd’hui. Au besoin, on peut corriger les défauts de la voix avec des moyens techniques. Il y a beaucoup d’orchestres aussi. Moi, je chante sans accompagnement et sans correcteur de voix. » Elle opère sans filet, en somme. La prise de risques est totale. Mais « les fausses notes » font partie du jeu. Et ajoute-t-elle, « le chant c’est comme un cri ». Un moyen d’exister, de signaler sa présence, de toucher l’autre.
L’installation « C’est la vie » (2002) nous apprend ainsi qu’elle –la vie- n’est pas forcément rose. Sur un mur blanc, on peut voir cinq lignes verticales formées d’épines de roses. Que l’on retrouve avec des couronnes et des diadèmes réalisés au moyen de tiges de bois souple. De loin, ils semblent ourlés de petites perles, mais quand on s’approche, les perles se révèlent être des épines de roses : qui s’y frotte, s’y pique ! Ces couronnes/diadèmes sont destinées à des petites filles. Censées être nées dans les roses, elles découvrent ainsi que les bijoux qu’on leur destine, ne sont pas si « roses » que cela. « La vie est dure pour les petites filles », commente Le Touze.
Comment dès lors déjouer les mauvais tours de l’existence ? Chanter, bien sûr. Inviter l’autre à un échange, un partage, une complicité, loin du monde ordinaire, de ses frayeurs, de sa dureté. Du coup, Le Touze peut donner libre cours à cette « Obsession lucioles », qui, en 2009, lui inspira une installation en forme d’éco-système. Dans une boutique du Vieux Nice, à l’abri d’une vitrine, elle a reconstitué un petit coin de verdure qu’elle a peuplé de vraies lucioles. Les passants n’en croyaient pas leurs yeux. « Certains, dit-elle, ont pris les lucioles pour des « leds ». D’autres ont cru voir des lucioles, à un moment où il n’y en avait pas. » Depuis, elle poursuit ses recherches. Elle repère les endroits de Nice où les lucioles sont encore présentes afin d’en dresser une cartographie. Grâce à elle, nous voilà déjà courant, tels des enfants, après ces volatiles lumineux, cherchant à les capturer pour les couver au creux de la main, avant de les relâcher pour les voir s’envoler de nouveau et virevolter dans l’air.
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