Jérôme Robbe
jeux de miroirs
Jérôme Robbe est né à Paris en 1981. Il a fait ses études à la Villa Villa Arson, à Nice. Il en est sorti diplômé en 2008. Dès 2007, il expose à la galerie Espace À Vendre. Il se partage désormais entre Paris où il a un atelier, et Nice, où il a conservé des attaches, notamment avec Noël Dolla, professeur à la Villa Arson et figure marquante de l’art contemporain. En 2011, Robbe a réalisé à Nice une installation d’envergure sur le parvis du Musée Chagall. Son travail convoque aussi bien l’histoire de la peinture que les techniques les plus diverses qu’il maîtrise en virtuose. Parmi les courants contemporains auxquels son œuvre fait écho, on peut citer l’action painting et le colourfield painting américains, les abstractions de Gerhard Richter et les recherches de Sigmar Polke, ou encore les tableaux-miroirs de Michelangelo Pistoletto et le travail de déconstruction de la peinture initié par Supports-Surfaces dans les années 1970.
Jérôme Robbe affectionne les supports et les matières réfléchissantes, comme le miroir, le verre, le plexiglas, la tôle etc. mais aussi les vernis, dont il travaille la texture, la couleur et la transparence.
Ses « Écrans » superposent des couches de couleurs, donnant à voir des motifs abstraits ou figuratifs (bouquets de fleurs, figures issues de la BD), dont on ne sait pas dire quelle place exacte elles occupent dans l’épaisseur du tableau : quelle est celle qui a été peinte en premier, où est le fond ? Difficile à déterminer, tant le peintre brouille les pistes et s’ingénie à créer des trompe-l’œil qui dissimulent la réalité. Avec les « Miroirs », réalisés sur du plexi, du verre, de la tôle ou des miroirs, il intègre des motifs abstraits, un bouquet de fleurs (pour un tableau intitulé Après Picabia) ou bien des tatouages identiques à ceux pratiqués par les détenus dans les prisons et les bagnes de l’ex-Union Soviétique. Le jeu des superpositions, là encore, égare le regard. Dans Convicted for Robbery (2007), les tatouages reproduits sont pratiqués au verso d’un miroir et non à la surface, leur dessin apparaît là où le tain a été gratté. La variation des textures, mat/brillant, la plus ou moins grande transparence des couches et sous-couches installent les formes dans une sorte d’incertitude. Elles se fondent dans un jeu de matières qui trouble le regard. Le spectateur hésite, se demande à quoi il a affaire, scrute les détails, tout en apercevant son reflet à la surface du tableau.
Les « Compressions » expérimentent un autre procédé. Robbe prépare un fond sur bois très coloré, de style abstrait. Il organise ensuite un réseau de taches de peinture fraîche qu’il écrase sur le fond au moyen d’un caisson en plexiglas qui vient enfermer le tableau. La peinture s’étale et prend forme. On ne distingue plus, l’œuvre finie, si elle a été appliquée directement sur le fond ou si elle est imprimée à la surface du plexiglas.
Le dessin subit une même remise en question. Robbe dit ne pas aimer dessiner, il préfère travailler la matière.
Dans ses « Dessins », il fait ainsi disparaître les attributs du dessin : le papier, le crayon, le trait… Il dispose une feuille de papier sur une plaque de verre, la vernit et la brûle au chalumeau. Pour finir, il la recouvre avec une seconde plaque de verre qui fixe les traces des brûlures.
Ces dessins sont présentés sur de petites étagères en métal ou en bois. La lumière glisse à travers le verre, révèle des transparences, projette des ombres sur le mur. Le geste, on l’aura compris est essentiel. Il doit être juste et précis, sinon l’œuvre est manquée. Il joue avec le fond et la forme pour disséquer les images, les mettre en abyme, nous placer devant l’énigme de leur fabrication et la singularité de leur présence. Robbe cherche ainsi à « piéger le regardeur » (Élodie Antoine), « quelles que soient les séries qu’il met en place…, toutes fonctionnent sur le principe de l’artifice et de la déconstruction de l’image. Ce qui implique un ensemble de gestes et de techniques destinés à tromper le regard de l’autre » (Eric Mangion). L’humour ajoute encore à cette mise à distance. Robbe ne dédaigne pas les jeux de mots et les titres à double sens. Convicted for robbery (Condamné pour vol) adresse ainsi une discrète allusion à son nom : Robbery… Robbe…
La maîtrise de l’espace
Robbe pratique aussi l’installation. L’œuvre réalisée en 2011 pour l’exposition « La Peinture Autrement » au Musée Chagall de Nice, est emblématique de son travail. Le projet n’a pas fait l’objet d’un dessin ou d’une maquette préparatoires. « Je ne dessine jamais à l’avance », dit Robbe, très reconnaissant envers Maurice Fréchuret, directeur des Musées Nationaux du XXe siècle dans les Alpes-Maritimes, qui lui a fait confiance. Robbe a mis 3 semaines pour réaliser l’installation. Il a étalé et mélangé 3,5 tonnes de peinture sur le parvis du Musée. Sur cette nappe de couleurs d’environ 3 à 4 cm d’épaisseur, il a réparti deux tonnes de marbre provenant des façades en rénovation du MAMAC de Nice. L’ensemble s’étendait sur 375 m2. La réalisation a nécessité un labeur éreintant, d’autant que Robbe a opéré seul, sans assistant. L’œuvre a été démontée en mars 2012. La nappe de peinture séchée a été découpée pour former un rouleau de 25 mètres de long et 1,1 mètre de large. Ce rouleau a été présenté à la galerie Espace À Vendre, rue Vernier, à Nice, où il était débité pour être vendu en carré de 1,1 mètre sur 1,1 mètre. Le nom de cette œuvre titanesque : a.m./P.M. renvoyait à l’espace de temps d’une journée : avant midi, après midi. Mais elle pouvait se lire aussi comme les initiales de « À Monsieur Philippe Maillard », le verrier aujourd’hui décédé, ami de Robbe et inspirateur de l’œuvre. La peinture a été fournie gracieusement par Soframap/Allios.
Durant les 9 mois de son exposition, l’œuvre a pu évoluer, se transformer. La peinture a lentement séché, changé de couleur, s’est fissurée, creusée de sillons. On notait qu’un chat y avait laissé ses traces, qu’à un endroit, perçait une minuscule plante dont on apercevait un bout de tige. Désormais, on pouvait parcourir librement cette nappe étrange qui ne semblait plus être faite de peintures. Sous la lumière rasante du crépuscule, elle avait l’air d’une mer de glace, d’une banquise amarrée au jardin et aux murs du Musée, qui lui faisaient écho, suggérant à la rêverie un singulier dialogue.
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