Alberte Garibbo
L’œuvre aux noirs
Née à Monaco en 1946, Alberte Garibbo a passé toute son enfance à Gorbio, près de Menton. Du plus loin qu’elle se souvienne, elle a toujours dessiné. « Je suis née avec un crayon à la main, dit-elle. L’odeur du papier, le crissement de la mine. Ces souvenirs sont intacts dans ma mémoire. » Plus tard, elle quitte la Côte d’Azur pour le centre de la France, puis elle revient à Nice où elle suit les cours d’Arts Plastiques de la Villa Thiole. Elle y apprend les techniques de la gravure. C’est pour elle une expérience unique. Avec passion et rigueur, elle expérimente la justesse du trait, la précision du geste, mais aussi la beauté des matières et des textures, le langage si riche de ces noirs et blancs qui sont au cœur du métier de graveur, dans lequel très vite elle excelle. Deux personnes vont jouer un rôle décisif dans son évolution. La première est le galeriste et libraire niçois, Jacques Matarasso, qu’elle rencontre en 1978. Il l’aide à affirmer sa personnalité, à se lancer dans ce qu’elle rêve de faire, mais qu’elle n’a pas osé tenter. Un an après, c’est décidé : elle entame une carrière d’artiste. Sa première exposition a lieu à l’Hôtel des Monnaies à Paris. Le succès est au rendez-vous. Et les distinctions : en 1983, elle obtient le Prix du public à la 8e Biennale d’Art Moderne de l’UMAM à Nice, suivi, en 1984, du Prix des Musées de Pologne. En1985, elle est au Japon, où ses gravures sont présentées à Hanga annual au Musée des Beaux-Arts de Tokyo. L’année d’après, elle fait une seconde rencontre décisive, celle d’Alexandre de la Salle, qui tient une importante galerie à Saint-Paul de Vence. Alberte va changer de manière : « J’ai eu envie de transposer dans la peinture les émotions que me procurait la gravure. » La voilà donc peintre. Mais avec une ambition particulière : travailler les noirs, jouer sur les oppositions de nuances, de brillance et de matité, pour créer un langage particulier qui lui permette d’exprimer ses émotions intérieures. Sur des fonds noirs, elle orchestre des jeux de taches et de lignes dans des coloris chauds et intenses : le blanc, le rouge, l’orange. L’effet de contraste libère une lumière pleine de force et d’intensité. Très graphiques et visuels, ses tableaux sont souvent classés dans l’abstraction géométrique. Un terme qu’Alberte nuance : sa peinture revendique en effet une dimension spirituelle. Les
graphies dont le noir s’ornent, renvoient à des dessins qui lui viennent de son expérience personnelle, des voyages qu’elle fait à travers le monde. Ils font songer à des peintures ethniques, celles des Indiens ou des Incas, par exemple, celles du Tibet, aussi. « Lorsque je peins, dit Alberte, j’ai toujours une idée bien précise, liée à mes lectures, à ce que j’ai vu et ressenti. » Mais il ne faut pas compter sur elle pour expliciter ce qu’elle a voulu dire et délivrer un quelconque message. Alberte revendique le silence. Celui de la contemplation qui conduit à la profondeur, à la vibration intime de chaque être, à son rapport secret avec le monde, le cosmos qui l’entoure. L’œuvre d’Alberte est une invitation à la méditation, au recueillement. Elle refuse de boucler la boucle, de tout dire, elle suggère, donne à penser, invite à sentir.
La manière noire
Pour explorer toutes les nuances du noir, Alberte a mis au point une technique nouvelle qu’elle a baptisée « manière noire à l’aérographe ». Elle utilise ce petit pistolet à peinture, qu’on appelle aérographe, pour vaporiser des pigments sur la toile. En réglant la projection, en dosant les couches de couleurs, elle parvient à créer des différences d’intensité et de matière.
Au moyen de caches, elle pratique des réserves qui permettent de moduler le noir, mais aussi de recevoir d’autres coloris : du blanc, du gris, du rouge ou de l’orange. Le noir gagne en densité, en profondeur, il se fait multiple, dessine des figures géométriques de tonalités différentes qui donnent rythmes et mouvements au tableau. Sa texture est plus ou moins veloutée, plus moins mate. Finies les brillances de la peinture à l’huile, Alberte et son aérographe libèrent des tonalités sourdes, multiples, lourdes de sens caché, d’allusions, de mystères. Sa peinture ouvre des pistes, suggèrent des chemins où l’esprit du spectateur captivé par la profondeur de la couleur, de ce noir, toujours le même et toujours changeant, qui plus que toute autre couleur, exprime la lumière. Car le noir est aussi lumière. C’est à la fois « la couleur du deuil et de la fête », comme le dit cet autre maître du noir, Pierre Soulages. Il exprime la tragédie, le malheur, les tourments, l’angoisse, la part maudite qui est en chacun de nous. Qu’on songe aux vers de Rimbaud : « À, noir corset velu des mouches éclatantes / qui bombinent autour des puanteurs cruelles, /Golfes d’ombre… » C’est donc la nuit où l’on s’enfonce, où l’on risque de se perdre. Mais c’est aussi, le point du jour, l’obscurité d’où la lumière va surgir. La lumière et la plénitude, qui percent sous la cuirasse de l’obscurité, ces fragments de satin et de nacre qu’Alberte excelle à faire scintiller, ces lignes impeccables qui fracturent la masse vibrante du noir comme des rayons laser, des rais éblouissants qui nous suggèrent d’autres mondes, nous relient aux vibrations telluriques et aux rythmes célestes. De par sa nature même, physiquement, le noir est porteur de toutes ces potentialités cosmiques. Laissons parler l’Encyclopédie Wikipédia : « Le noir est l’aspect visuel des objets qui n’émettent ni ne reflètent aucune part du spectre de lumière visible. » C’est la non couleur, qui est en même temps, la couleur absolue : le rayonnement secret et intime de cet invisible dont les tableaux hypnotiques d’Alberte Garibbo possèdent le pouvoir, qui tient de la magie et de l’alchimie tout à fois, de libérer l’éclat étincelant. Ils captent en nous le meilleur de nous-mêmes, nous disent l’harmonie et
la sérénité, l’éclaircie qui point après l’orage, la clarté qui surgit des ténèbres. Nous voilà happés par un mouvement irrésistible, saisis par une beauté qui nous subjugue et nous apaise. C’est sans doute le talent unique d’Alberte Garribo de nous procurer ces moments de joie intense, proches du satori des Orientaux, où nous entrons en communion avec nous-même et le monde qui nous entoure.
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