Stéphane Cipre
le langage de la matière
Comment devient-on sculpteur ? On peut faire les Beaux Arts. Ou apprendre sur le tas chez un artiste confirmé. Stéphane Cipre a choisi une autre voie. Il s’est formé lui-même après avoir fait un détour par la mode. L’école, il faut dire, ne lui a pas trop réussi. Il se souvient d’avoir été « mauvais, très mauvais en orthographe ». Ce qui, aux yeux de certains professeurs, le condamne à être un cancre irrécupérable. Mais il en faut plus pour impressionner le petit Stéphane. Déjà, il a du caractère. Nul en orthographe, il se rattrape en sport. A 14 ans (il est né en 1968), il est 6 ème au championnat de France de saut à ski. Bien vite, il quitte l’école pour faire un CAP de modéliste-styliste. Son diplôme en poche, il travaille chez son père qui est artisan-fourreur à Nice. Il façonne le tissu, la fourrure, le cuir. Il adore transformer la matière, l’assembler pour donner naissance à des créations originales. Son savoir-faire lui vaut de réaliser quelques modèles pour des marques connues comme Chacok et Yves Saint-Laurent. Mais déjà il pense à l’art. Les années 70/80, c’est la grande époque de l’Ecole de Nice. Les Nouveaux Réalistes recyclent des objets de la société de consommation pour en faire des peintures ou des sculptures. Le pop art américain connaît un succès planétaire. César, Arman, Klein, Tinguely, Warhol créent l’événement. Stéphane rêve de les imiter. De devenir artiste. Et plus particulièrement sculpteur. « Depuis toujours, dit-il, j’ai été attiré par la soudure et la fonderie. La fusion des matériaux m’a toujours fasciné. Elle est au centre de la terre et de la création ».
En 1997, l’Ecole du Louvre organise des cours à Nice. Cipre saute sur l’occasion et suit une formation en histoire de l’art. Il fréquente aussi la Villa Thiole, l’Ecole Municipale d’Arts Plastiques de Nice. Pour finir, il décide d’abandonner la mode pour devenir sculpteur. Il troque le tissu et la machine à coudre pour la tôle et le fer à souder. Passionné d’informatique, il utilise beaucoup l’ordinateur pour réaliser ses dessins préparatoires. « Je procède en deux dimensions, dit-il, mais j’ai toujours en tête, ce que cela va donner en volume. » Ou bien il travaille directement la matière, exactement comme un modéliste façonne un vêtement sur un mannequin. Ses premières créations restent d’ailleurs marquées par la mode. Il « repense et retravaille les formes, les courbes et les cambrures du corps féminin à l’aide du bronze, de l’acier, du cuivre et même du béton armé ». Et puis il évolue, il se rappelle ses tourments d’enfant face à l’orthographe. Maintenant qu’il est artiste, l’heure est venue de lui régler son compte. Comment ? Tout simple : en mettant l’écriture au centre de son travail de sculpteur.
Made by Cipre&Co
Donc, partir des lettres de l’alphabet. Qu’en faire ? Les assembler pour former des mots de telle sorte que le graphisme de chaque mot représente la chose qu’il désigne. Au moyen du signifiant, donner à voir le signifié, c’est le but recherché. Exemple : les lettres du mot dog (chien) sont sculptées de telle façon qu’elles figurent un chien. Idem pour l’Éléphant, l’Autruche, La Voiture, la Vache… Le même procédé est utilisé pour créer des sculptures représentant des objets. Ainsi, avec les lettres du mot chaise, Cipre crée une véritable Chaise (2005). L’œuvre connaît un grand succès aux Etats-Unis où elle fait la une du New York Times et se retrouve sur l’affiche de l’Art Design Fair. De la même manière, il donne naissance au transat Relax (2007), à un Banc (Bench, 2007), à un Paravent (2004), tous composés au moyen des lettres figurant dans leur nom. Il illustre aussi des idées avec Justice (2003), People (2007), Sexy (2011) ou Liberty (2008), qui représente une statue de la Liberté.
Le plus souvent, Cipre utilise l’aluminium moulé. La surface est lisse ou retravaillée, brossée ou enduite de laques de couleurs. L’aluminium peut être associé à d’autres matériaux comme le bois ou la tôle ou combiné à des techniques mixtes pour obtenir des effets de matière et de coloration.
Ce qu’il a fait avec les mots, Cipre le fait ensuite avec des images. Il s’empare de figures iconiques (BB, le Che, Mao, Gandhi, Zelda, Sitting Bull, etc.) pour réaliser des portraits au moyen de lamelles de métal superposées et colorées. De près, on ne distingue pas de qui il s’agit, mais en s’éloignant le visage apparaît et on peut le reconnaître. En 2007, le Palais Princier de Monaco lui commande un portrait de la Princesse Grace qui est offert à Nelson Mandela. En retour, Cipre a réalisé un portrait de Nelson Mandela destiné à la Princesse Charlène en vue d’une vente au profit des œuvres dont elle s’occupe. En 2013, autre commande : en liaison avec le cabinet d’architectes P+P+F Goujon, Cipre réalise pour une villa, des volets de façade en alu représentant une branche de cerisier en fleur. L’œuvre s’étend sur 15 mètres de long et 3 de hauteur.
En 2006, Cipre crée Cipre&Co, une société fictive de transport d’œuvres d’art. A travers cette initiative, il met l’accent sur la consommation, mais aussi sur la mondialisation. Les œuvres d’art sont en effet destinées à être vendues, achetées et transportées d’un continent à l’autre. Cipre réalise des sculptures à partir des éléments qui servent à les emballer. Il les propose sanglées à la manière des ballots utilisés en Chine, dans des containers ou sur des palettes. En 2007, les mots Made in China, posés sur une palette, remportent le prix Matisse de la Biennale d’Art Contemporain UMAM. Emblèmes de la série, les mots Art et Love sont déclinés selon diverses formes, sanglés, sur palette ou en container. Market (2013) présente le mot Art dans un caddy de supermarché. Bling Bling Mouse (2009) donne à voir un visage de Mickey traversé par le logo du dollar. Camouflage (2012) associe un cœur et le signe Peace and Love, deux valeurs bien « dissimulées » dans le monde où l’on vit. Dans Cotée en Bourse, une installation de 2008, on voit s’afficher sur cinq écrans lumineux les cours de la Bourse. Cipre y a intégré celui de Cipre&Co. Qui ne cesse de monter ! Clin d’œil, malice, certainement, mais pas si faux : dix-sept ans après ses débuts, Cipre a conquis une audience internationale. Ses œuvres sont aujourd’hui diffusées dans le monde entier. Belle revanche, pour l’enfant traumatisé par l’orthographe, qui a réussi à trouver sa voie loin des contraintes et des formatages scolaires.
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