Michel Redolfi
la musique et la vie
Intégrer la musique à la vie, dans ce qu’elle a de plus quotidien, c’est le pari réussi de Michel Redolfi. Tout commence à Marseille où il naît le 8 décembre 1951. Entré au Conservatoire de la ville, il apprend le violon. Rien que de très classique. En 1969, il passe une audition, devant le directeur, Pierre Barbizet, pianiste et pédagogue de renom. Celui-ci le réoriente sur la classe de musique électroacoustique qui vient juste d’être inaugurée. Il y découvre « sa véritable corde sensible ». Avec des amis, il fonde alors le Groupe de musique expérimentale de Marseille (GMEM). A 22 ans, il décide de partir aux États-Unis. Les nouvelles musiques, les synthétiseurs, bref, tout ce qui l’attire et occupera désormais sa vie, c’est là-bas que ça se passe. Il y reste treize ans, de 1973 à 1986. Il travaille dans les studios de musique électronique de l’Université du Wisconsin, du Darmouth College et du California Institute of the Arts. Il collabore notamment à la mise au point sonore du premier synthétiseur numérique, le Synclavier, utilisé par de nombreuses pop-stars dont Michael Jackson qui intègre ses timbres en introduction du hit « Beat it ». Il entre ensuite comme chercheur à l’Université de Californie à San Diego. Sa carrière bifurque : « J’en avais assez de l’informatique, elle était très lourde à l’époque, et puis j’avais envie d’innover, de faire différent ». C’est ainsi qu’il s’intéresse à l’océan qu’il côtoie au quotidien et qui « l’interroge » : « Là bas, plus qu’ailleurs à l’époque, la mer est liée aux sciences de pointe, à l’hédonisme, à l’écologie, bref à une vraie qualité de vie et à la réflexion sur notre futur. » Redolfi se demande comment traduire ça en musique. Il reçoit l’aide du centre océanographique Scripps et de la marine américaine qui a beaucoup travaillé sur les conditions de diffusion du son en milieu marin. Peu à peu, il donne forme à un nouveau concept : la musique subaquatique. Il crée des compositions originales qui sont diffusées dans la mer ou dans des piscines au moyen d’équipements ou d’instruments conçus spécialement à cet effet. Le public les écoute en flottant sur l’eau ou en s’immergeant. « Sonic waters », sa première œuvre est présentée en juin 1981, dans la Baie de San Diego et quelques jours après aux Rencontres Internationales d’Art Contemporain de la Rochelle. En 1986, il rentre en France. Il s’installe à Nice où il prend la direction du CIRM (le centre international de recherche musicale) qui organise le festival Manca, dédié aux musiques nouvelles. Parallèlement, il continue à développer la musique subaquatique. En 1992, il présente « Crysallis », le premier opéra subaquatique avec la soprano Yumi Nara immergée dans une immense bulle de plexiglass. Depuis, le concept s’est imposé au niveau international. Des concerts sont organisés avec succès dans le monde entier.
Design sonore
La façon de concevoir la musique est bouleversée. Elle ne s’écoute plus religieusement, dans des salles de concerts qui lui sont réservées, mais elle fait partie intégrante de la vie. « L’écouter, dit Redolfi, participe de la poésie sonore dans la ville, du rêve dans les transports, bref, d’un style de vie, ludique, décalé et envoutant ». On pense à la « musique d’ameublement », inventée par Erik Satie, faite et composée pour accompagner la journée dans chacun de ses moments. Cette idée inspire le design sonore dont Redolfi devient un spécialiste. Il s’agit d’aménager le son en fonction de l’espace et de l’environnement. La diffusion ne se fait plus uniquement par des hauts parleurs classiques, mais par des matériaux vibrants qui font rayonner le son depuis le sol des jardins, dans les parois des appartements, à la surface des meubles. En contact avec le corps, la peau, la musique devient sensorielle, l’écoute est tactile.
Redolfi expérimente ses nouvelles idées dans le cadre du CIRM et du Festival Manca. Celui-ci acquiert sous son impulsion une renommée internationale et explore avec inventivité la ville de Nice et son histoire. Des concerts sont donnés sur la plage, dans le Vieux-Nice, dans les studios de cinéma de la Victorine, à l’hôtel Negresco, palace mythique de la Promenade des Anglais, où le « salon tigré » accueillera un mémorable marathon de violoncelle : 12 heures de musique pour 60 créations mondiales, dont une historique de John Cage !
En 1998, Redolfi quitte le CIRM et le Festival Manca. Il n’abandonne pas pour autant son travail sur le design sonore. En 2003, il fonde à Beaulieu-sur-mer avec le designer Christoph Harbonnier, le studio Audionaute. L’une de ses activités consiste à créer des ambiances musicales pour des lieux de vie, des parcs d’attraction ou des centres culturels : les tramways de Nice et de Brest, le Centre de la mer Nausicaa (Boulogne sur Mer), le Parc de la Villette et la Cité des Sciences (Paris), Marineland (Antibes), Disneyland (Paris) etc.
Entre 2011 et 2014, Audionaute met au point un mobilier révolutionnaire, le fauteuil « Sunfony ». De forme idéalement ergonomique, équipé d’un capteur solaire, il permet de s’immerger dans le son sur terre ferme. « Il est truffé, explique Redolfi, de petits vibreurs qui font résonner le volume du fauteuil comme une caisse de contrebasse. Quand on s’allonge à l’intérieur on capte le son par tout le corps qui entre en résonance avec le fauteuil. »
En parallèle, Redolfi développe un concept de musique littéralement spatiale. « Il s’agit, dit-il, de savoir quelle musique pourraient écouter les cosmonautes qui iront bientôt sur la planète Mars. » Utopie ? « A peine, ajoute Redolfi, il est probable que dans un millénaire, la science créera sur Mars une atmosphère comparable à celle existant sur terre. »
En 2014, Redolfi a édité une composition dédiée à ces « audionautes » du futur : « Music on Mars », produite par Radio France. Elle vient enrichir un catalogue riche de nombreux titres et marque une nouvelle étape dans le travail du compositeur. « C’est mon étape exploratoire après l’eau, dit-il. Sur Mars, on n’est pas seulement plongé dans un nouveau médium de diffusion. Pour y aller, il faut voyager pendant 9 mois, on est dans une nouvelle situation physique et mentale, dans des lieux de confinement, ou en promenade sous la voûte céleste, avec le vertige, la poésie, le défi d’être à 50 millions de km de la terre ! On écoutera encore, mais ce sera fondamentalement différent. Je veux y songer dès aujourd’hui ! »
Leave a Reply
Want to join the discussion?Feel free to contribute!