Karim Ghelloussi
la sculpture plurielle
Arabesque : « 1. ART Ornement (à la manière arabe) formé de lettres, de lignes, de feuillages entrelacés… 2. Ligne sinueuse de forme élégante… FIG. Enjolivement, fantaisie musicale ou littéraire… CHOREGR. Pose de danse sur une jambe, l’autre levée en arrière. » (Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française). « Arabesque », c’est le nom d’une des premières œuvres de Karim Ghelloussi, datée de 2000. Elle est composée d’éléments d’un rocking-chair en bois et d’une cafetière ciselée. Selon lui, elle illustre « le plus évidemment » son « programme artistique d’investissement de la sculpture ». Il précise : « Soit, le déploiement dans l’espace d’une ligne figurée par les volutes d’un rocking-chair semblant s’échapper d’une cafetière ciselée. Les éléments constituants ne sont que posés, maintenus dans un équilibre précaire qui rejoue l’instant figé. L’élémentarité du dispositif fait tension avec la multiplicité des images convoquées. C’est sur cette tension que s’articule la construction mentale, au sens où la grammaire est l’articulation d’un discours. » (cité dans Documents d’artistes).
Karim Ghelloussi écrit ce texte en 2002. Il vient de terminer ses études à la Villa Arson, l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Nice. Né à Argenteuil en 1977, il y est entré en 1996. Dès le début, il s’oriente vers la sculpture : « Cela s’est fait naturellement, dit-il. J’ai toujours été attiré par le volume, par les objets, par un rapport à la construction, à la main… » Il pratique aussi la céramique. Après son diplôme, il s’occupe un temps de l’Atelier de céramique de la Villa Arson, en lieu et place du professeur Yoko Gunji, partie à la retraite.
Encore étudiant, Karim Ghelloussi réalise ses premières pièces et pose les éléments de ce qui sera son langage artistique. En 2003, il présente sa première grande exposition à la Villa Arson. Dès 2005, il est représenté par la galerie Catherine Issert de Saint Paul de Vence. Depuis, il y expose régulièrement.
Son travail s’affirme très tôt par son originalité. Il se distingue nettement de l’approche traditionnelle de la sculpture. « Je ne me définirai pas vraiment comme un sculpteur, dit-il, bien que je réalise des pièces qui sont en volume. Je ne m’identifie pas à cette figure classique du sculpteur qui a un rapport à la matière, à la masse. Je pratique une sculpture assez différente. J’ai abordé la sculpture par un angle un peu particulier qui est celui de la céramique. J’utilise des matériaux qui sont parfois des objets de récupération, mais aussi des matériaux légers qui proviennent de l’univers du bâtiment, comme le polystyrène, le mortier, le ciment…Ces matériaux sont issus d’un imaginaire qui est propre au chantier, à la construction et par extension, au monde ouvrier, à l’immigration.… »
Sur le mode kitsch…
Ces matériaux sont le point de départ d’un patient travail d’association, d’assemblage. Karim Ghelloussi croise, entrelace les univers auxquels ils font référence. Il établit un dialogue entre ces univers. Entre le nord et le sud, par exemple. Entre la France où il est né, et l’Algérie, où se trouvent ses origines familiales. Entre l’Occident et l’Orient. L’ici et l’ailleurs. Les cultures populaires et les cultures savantes. Le chic et le toc. Le riche et le pauvre. Le clinquant et le brut. Le politique et le poétique. Les matériaux pauvres, déclassés deviennent de l’art, inversement, les figures de l’art sont parodiées, dévaluées. Ces hybridations se veulent légères, ténues, elles refusent la lourdeur d’un sens trop immédiat, globalisant et réducteur : « Je recherche un sens flottant, dit Karim Ghelloussi, qui est de l’ordre de la suggestion, de l’évocation, de l’horizon… »
Sa série « Etudes et Chutes », commencée en 2001, propose ainsi des assemblages symptomatiques. Tels ces ravissants angelots argentés surmontés d’un paquet de bout de bois cimentés et ficelés (2012). Ou encore, ces aiguières et ces vases en bronze ou en faïence d’où s’écoulent d’étranges formes en silicone.
Les sculptures procèdent selon le même principe. Par exemple, des perroquets multicolores venus de lointaines îles caraïbes sont posés sur des blocs aux masses rondes qui font penser à des sculptures de Henry Moore ou de Jean Arp, sauf qu’elles sont en résine, que leur surface est rugueuse, brute, et qu’elles sont posées sur des socles en bois brut. Ce sont « O jardim botânico tropical », deux pièces de 2010, qui donneront leur nom à une importante exposition dédié à l’artiste, en 2011, par le Centre d’Art Le Moulin de la Valette-du-Var. On y découvre aussi un cygne au plumage sali qui a fait son nid sur des sacs poubelles (Sans titre, (descendu des hauteurs où règne la lumière), 2008) et une maquette de bateau rouge échoué sur un amas de déchets (l’aube cardinale, 2010).
Les expos personnelles établissent des liens entre les pièces. Mais rien de très structuré, une géographie flottante, qui se parcourt sur le mode de la déambulation. En 2012, par exemple, au Château de Tourrettes-sur-Loup, Karim Ghelloussi pense à « un paysage » lorsqu’il conçoit la scénographie de son exposition : « Au désert j’ai dû me rendre… ». Les pièces qu’ils présentent évoquent, entre autres, l’Orient, l’Afrique du Nord. A l’instar de ce personnage mélancolique en mortier et résine qui se tient debout, deux dromadaires miniatures à ses pieds, et un troisième à la main. Ou encore de ces pâtisseries orientales monochromes servies sur un socle de bois (Sans titre, « Turkish Delight», 2011). Ou de cette maquette de constructions issues du Maghreb, qui est posée sur 2 chaises.
Les hybrides de Karim Ghelloussi, ces composés hétéroclites, mixant, sur le mode du kitsch, univers et références, semblent toujours en équilibre instable. Leur poésie singulière naît de leur précarité. De leur refus de réduire le monde à une vérité rationnelle et totalitaire. Ils font songer à ces haïkus, petits poèmes japonais, que Karim Ghelloussi aime citer pour illustrer son travail et que Roland Barthes définit ainsi (« L’empire des signes », 1970, cité par Alice Motard dans un texte sur Karim Ghelloussi, « Poétique du toc ») : « Tout en étant intelligible, le haïku ne veut rien dire, et c’est par cette double condition qu’il semble offert au sens, d’une façon particulièrement disponible, serviable, à l’instar d’un hôte poli qui vous permet de vous installer largement chez lui, avec vos manies, vos valeurs, vos symboles ».
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