Gilbert Pedinielli
les rigueurs du sentiment
Gilbert Pedinielli est toujours resté profondément attaché à sa famille et à sa ville, Nice, où il est né. Elles constituent un socle affectif indéfectible à partir duquel il s’est construit. Dans un livre paru en 2012, « La Cité de la Baie des Anges » (Start Editions, avec le soutien de la galerie Maud Barral), il rend hommage à sa femme Jany, la compagne de toujours, son meilleur soutien, mais aussi sa meilleure critique. Il remercie aussi ses parents, « qui, « tenant » un vieux kiosque à journaux, rue de la République, l’ont poussé à acquérir, dans l’exiguïté précaire d’un cylindre, sa première culture. Tout pour le cinéma de quartier, les magazines Cinémonde et Cinérevue le plongeaient dans l’onirique éternité du septième art qui, en fait, était son premier… ». Sur Nice, il écrit : « Une cité dure sous sa beauté de façade, sa lumière qui tue les couleurs et, paradoxe, attire les peintres, sa mer qui lave les yeux et donne la capacité de respirer. » Dès 1954, Gilbert commence à peindre. Après le lycée, il entre à l’Ecole des Arts décoratifs de Nice. Il en sort diplômé et monte à Paris pour suivre les cours d’ « esthétique industrielle » aux Arts et Métiers et aux Arts Appliqués. Ses études finies, il retourne à Nice. Pas question de rester à Paris qu’il déteste. Il épouse Jany et cherche un emploi. Il travaille cinq ans chez un architecte, puis il est engagé par IBM à La Gaude, comme designer de produits. Parallèlement, il s’investit dans de multiples activités artistiques. En 1964, il co-fonde le Théâtre Populaire de Nice. Il est metteur en scène, comédien, créateur de costumes et de décors, écrivain. Dans le sillage de Mai 68, il refuse le centralisme parisien, les inégalités, l’injustice, la prétention sous toutes leurs formes… En 1978, il crée « Calibre 33 » avec Dominique Angel, Daniel Farioli et Geneviève Martin. Dans un catalogue édité par le groupe en 1982, il écrit : « J’en ai ras le Mossant que le verbe a posteriori justifiât l’action (et de la théorie du placage). Cette dernière est binaire. Le cheminement de la création est protéiforme et multidirectionnel. L’avancement des travaux ne justifie-t-il pas tâtonnements, voix de tête et voix de cœur menés de front. » (cité par France Delville, dans Art Côte d’Azur).
Fidèle à sa vision de la création, Gilbert explore nombre de modes d’expression: peinture, on l’a vu, photos, dessin, sculptures, performances, installations, écriture… Son art lui aussi est pluriel. Chaque œuvre est une pièce unique, mais elle peut se combiner à d’autres, s’intégrer à des séries ou à des installations. Avec une rigueur absolue, car Gilbert n’a rien d’un artiste gestuel. Il médite et prémédite son travail. Son esthétique se veut calculée, pensée dans les moindres détails. D’où son attachement au nombre d’or et à la suite de Fibonacci (0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21 etc.) qu’il utilise de façon récurrente. Mais cette rigueur n’exclut ni l’humour, ni la fantaisie. Le plasticien amoureux des belles formes, est aussi un pince-sans-rire, dont l’esprit critique est impitoyable.
Un dandysme teinté d’humour
Dans les années 80, il commence un travail sur les lances : « Piques et Philippiques ». Confectionnées au moyen de divers matériaux, elles sont alignées contre les murs du lieu d’exposition. Chacune peut fonctionner comme une pièce indépendante. Mais Gilbert les regroupe en séries selon la suite de Fibonacci. L’un devient multiple. Une armée se forme. Elle rappelle certains tableaux : Uccello (La Bataille de San Romano) ou Velasquez (La Reddition de Breda). Mais aussi d’antiques combats. De surcroît, c’est un langage plastique qui se compose contre les murs, où les lances jouent avec leurs ombres, formant une articulation de signes soigneusement ordonnée.
Viendront ensuite « Les doryphores », les porteurs de lances, qui peuvent s’assembler pour former une « troupe ». Puis « Femmes en guerre », qui s’unissent pour faire « masse », clamer leur révolte. Avec les « Carrioles », Gilbert fait référence aux véhicules de son enfance sur lesquels les gosses dévalaient les rues de la ville, « le corps ras le bitume, la tête vers l’ailleurs ». Il les revisite en les dotant de décors et de couleurs, où son ironie fait mouche. Performer, Gilbert distribue des tracts, qu’il numérote ou qu’il signe, comme des œuvres d’art, dénonçant injustices, idées reçues, violences sociales et politiques. Avec Daniel Farioli, il crée en 1995, « Fiduciaire Production ». Lors d’une exposition à Carros, elle donnera naissance à Marcel le guetteur, qui peut être regardé, évalué, questionné « comme un état de lucidité de conscience, d’humour ou d’honneur… » (Farioli/Pedinielli). Amoureux de cinéma et de Marilyn Monroe, Gilbert poursuit depuis les années 80 un travail sur la star hollywoodienne. Au-delà du mythe, il cherche à nous la montrer dans sa réalité de femme jetée en pâture à la violence d’un système impitoyable. En 2012, à la galerie Maud Barral, il propose une série de photos-montages, où l’on voit Marilyn dans divers lieux de Nice. C’est à cette occasion qu’il fait paraître « La Cité de la Baie des Anges ». Il y raconte comment il a rencontré M.M., à Paris, en 1962, puis l’a retrouvée à Nice, un peu plus tard. En 2013, il présente une nouvelle série sur Marilyn et la schizophrénie (« Marilyn et son double ») à l’Hôtel Windsor.
Sculptures et photos peuvent se combiner à leur tour, dans des installations. On les retrouvera dans une exposition en octobre 2014 au CIAC de Carros. Avec des œuvres nouvelles, formées de draps couverts de signes et accrochés aux murs par un clou. Une tentative « d’art total », dont le titre « Le point, la ligne, la surface, la couleur, le volume…etc. », fait écho à un ouvrage de Kandinsky : « Point, ligne et plan ». Un jeu subtil, qui fonctionne comme « une écriture ». Les spectateurs peuvent devenir scripteurs en faisant bouger les draps. Gilbert les y invite par cette inscription : « Vous pouvez toucher délicatement ». Clin d’œil à Marcel Duchamp qui avait collé un sein en mousse sur la couverture du catalogue d’une exposition sur « Le Surréalisme » organisée en 1947 par André Breton à la galerie Maeght, avec au dos cette inscription : « Prière de toucher ». Rigueur et humour. Changement dans la continuité. Plus que jamais, Gilbert est fidèle à lui-même. Nous invitant à partager un idéal exigeant, fait de beauté, de justice et de lucidité.
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