Gérald Panighi
Le dessin, mode de désemploi
Gérald Panighi écrit et dessine, à la fois, ce qui est peu commun. À sa sortie de la Villa Arson de Nice en 2001, il fait des petits métiers et s’essaye à la peinture abstraite. Il énumère en vrac ses références ou ses préférences comme on voudra : Cy Twombly, l’Art Brut, principalement Dubuffet, mais aussi Basquiat et bien d’autres, comme Magritte, dont il avoue que La Trahison des Images (1929), où l’on voit une pipe accompagnée de ce texte : « Ceci n’est pas une pipe », l’a beaucoup marqué. À cela, il faudrait ajouter une dose non négligeable de littérature : la poésie, le surréalisme, l’absurde et tous ses épigones, ce qui se traduit par une prédilection pour le calembour, le coq à l’âne, mais aussi l’humour, la nécessaire distance qui pousse à ne jamais se prendre trop au sérieux, ce qui est la meilleure façon de rester grave, c’est-à-dire d’être authentiquement sérieux sans vanité, ni prétention. Tout cela explique que Gérald finit par se sentir à l’étroit dans la peinture abstraite. Il veut faire autre chose, « tout en gardant, dit-il, ce travail de peinture que je faisais. » Le voilà donc dessinateur, mais dans un genre un peu particulier. Point 1 : il ne dessine pas d’après le motif ou le modèle, de manière traditionnelle ; non, ses dessins sont dérivés, copiés sur d’autres dessins qu’il va puiser dans des bandes dessinées, des films ou des almanachs. Mais attention, le choix opéré est bien précis. Il obéit à une règle : éviter les images ou les personnages iconiques qui sont trop facilement reconnaissables. Gérald préfère les anonymes, les sans-grade qui, à l’instar des seconds rôles dans les films classiques d’Hollywood, ont du caractère, de la « gueule », mais laissent la tête d’affiche aux stars.
Point 2 : ces dessins se perdent dans un fond blanc. Personnages ou objets sont isolés dans un espace plus grand qu’eux. Ils semblent flotter dans la page. Point d’environnement, de paysage, de fond auxquels les raccrocher. Désarrimés, les voilà livrés à leur vérité nue, à leur solitude, comme s’ils étaient condamnés à flotter dans un état d’apesanteur, cernés par le vide de l’espace mais aussi de la signification.
Point 3 : la technique de Gérald accentue encore la précarité de ses personnages ou images. Ses dessins sont exécutés à la mine de plomb et au crayon de façon hésitante, imprécise, d’un geste qui semble retenu, tremblé parfois. L’utilisation de l’huile de lin qui les recouvre et les déborde pour former des taches sur le papier, ajoute encore à la fragilité des figures représentées. Les traces de la pratique (empreintes de doigts, taches, rayures etc.) sont gardées intactes. Le papier qui peut être lui-même imbibé d’huile prend une présence qui contribue à mettre le dessin à distance.
Bref, rien d’académique, de classique dans le dessin de Gérald, l’incertitude règne, la peur de trop s’affirmer, de poser une figure péremptoire et dominatrice. On est dans la valse-hésitation, le lapsus, le double sens toujours possible. La mise en page fait le reste : les modèles de Gérald sont chamboulés, représentés en partie, en pente ou de biais. À l’arrivée, les figures qui ont servi de modèles en prennent sacré coup. Elles sont désamorcées, privées de cette netteté sûre d’elle qui en remontrait au regard du spectateur, lorsqu’elles étaient prises dans leur contexte d’origine. Dans les interprétations qu’en donne Gérald, les voilà dévaluées, condamnées à perdre de leur superbe.
En dessinant, en écrivant
Ce travail de déconstruction est encore renforcé par l’apport des textes que Gérald accole désormais à ses dessins. Ce pourrait être des citations, des phrases puisées dans des œuvres littéraires plus ou moins connues, mais non, Gérald a choisi de les écrire lui-même. Ce qui n’est pas une mince affaire. « Je fais référence, dit-il, aux choses de la vie quotidienne, l’amour, le travail, la mort. Cela me demande un gros effort.
Bien évidemment, ces formulations recherchent l’étrangeté, l’effet de surprise, flirte avec l’absurde, ce goût du non-sens cher aux surréalistes, qui est chargé de force poétique et recèle une vérité plus profonde que le discours rationnel. Le rapport du texte à l’image est essentiel. Il ne doit surtout pas être immédiat, trop direct. « Je ne veux pas, dit Gérald, tomber dans la pure illustration. Mes textes font appel à un niveau de lecture second. Leur rapport au dessin n’est pas toujours évident. » Le ressort principal de cette interface subtile est bien sûr l’humour, l’ironie, la dérision, pas toujours très tendre, parfois un zeste provocatrice. Du genre : « C’est son premier jour, elle est souriante », accompagné d’un dessin représentant le squelette d’un thorax. Ou « Je peux durer encore un peu », assorti du squelette d’un crocodile. Ou « j’attends des lettres de menaces », associé à un cavalier au galop. Ou « Le paranoïaque aime rendre parano », accouplé à un accordéon. Ou « je ne connais pas tous les poils sur ma peau », illustré par un bout de plume. Ou « Elle a fait semblant de rentrer chez elle », surmonté d’un bout de tronc d’arbre où vient se ficher une flèche qui fait « Thwack ». Graphiquement, ces textes font appel à des typographies de machine à écrire, en bas ou en haut de casse. Ils sont inscrits sur une ou deux lignes.La forme et la texture des lettres est en cohérence avec le reste de la page : floutées, pas nettes, elles affectent des airs de gaucherie. Une fois terminés, les dessins de Gérald peuvent être pris isolément ou regroupés. Assemblés sous verre, ils
forment des tableaux. Les dessins qui y figurent, assure Gérald, sont choisis un peu au hasard, sans idée très préconçue. Les accrochages relèvent de la même logique : Gérald compose des murs de dessins sans lien apparent. L’ensemble forme une sorte d’almanach ou de catalogue de la vie comme elle ne va pas toujours très bien, même si Gérald se défend de vouloir être « grinçant » ou « provocateur » ou « donneur de leçon ». Son parti pris d’humilité le lui interdit. Sa manière revendique le repentir, le regret, l’acte manqué. Ce que résume l’un de ses dessins où l’on voit une chauve-souris planant au-dessus de ce texte : « J’aurais pas dû dire ça. » Et pourtant, il l’a dit…
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