Florent Mattei
la photographie narrative
Adolescent, Florent Mattei rêve de faire du cinéma. Pour se familiariser avec le travail de l’image, il se met à faire de la photo. C’est ainsi qu’il rencontre André Villers, connu pour ses portraits de Picasso qui font référence. Il lui montre ses photos. Villers est séduit. Il lui propose de les exposer au Musée de la Photographie de Mougins. Mattei a tout juste 20 ans. C’est le déclic. Il décide d’aller faire des études de photo à l’Université de Paris VIII. Il entre ensuite à la Villa Arson, l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Nice. Diplôme en poche, il devient photographe professionnel et s’installe à Paris. Pour gagner sa vie, il travaille en free lance pour des agences de pub ou des magazines. Un exercice qui lui pèse et va inspirer ses premiers travaux artistiques. « Mes clients, dit-il, m’imposaient des codes et des chartes graphiques très strictes. A la longue, cela m’exaspérait. J’avais envie de casser tout ça ». C’est ainsi qu’en 2000, il réalise « The world is perfect », une série de clichés publicitaires d’un type un peu particulier. Si les mannequins femmes sont splendides, le mannequin homme n’est autre que Mattei lui-même, dont le physique n’a rien à voir avec celui des modèles qu’on a coutume d’employer pour ce genre de cliché. « Je mesure 1,70 mètre, dit-il, et les filles avec qui je posais me dépassaient de plus de 20 centimètres. C’était comme si on avait engagé Monsieur tout le monde pour faire des photos de pub. Et puis, elles sont faites pour qu’on s’identifie à elles, je les ai donc prises au mot en jouant le rôle du mannequin. » Décalage et effet comique garantis. Mattei expose cette série chez Frank Elbaz à Paris. Le succès est tel qu’il continue dans la même veine : des mises en scène minutieusement réglées, qui pratiquent le second degré. Ses photos parodient les clichés lisses et rassurants de la pub ou des banques d’images qu’on trouve sur le Net. Dans « Les Incontrôlables » (1999-2006), on voit, par exemple, une superbe fille, dents blanches, haleine fraîche, qui a un bout de feuille de salade collé sur une dent. Un cadre, jeune et dynamique, costard et attaché-case, s’apprête à marcher sur une « crotte » du pied droit, détail d’importance, car du pied gauche, ça porterait bonheur. Mattei se photographie lui-même avec sa femme et son fils, classique photo de famille, sauf que les trois protagonistes portent une cagoule sur le visage. Au spectateur d’interpréter. Mattei le questionne, l’interroge, ridiculise les idées et les clichés reçus, qu’on a tendance à prendre pour argent comptant.
Un regard critique
A partir de 2007, le travail de Mattei évolue. Il conserve l’idée de mise en scène qui caractérise ses photos, toujours soigneusement construites et composées, mais il change de thématique. Fini le second degré. « J’en avais un peu marre, dit-il, de passer pour le rigolo de service ». Et puis un événement tragique va marquer sa vie : le suicide d’un proche, qui s’est jeté dans le vide depuis un pont. Pris d’une folie soudaine, il était persuadé d’être le fils de Marie, ce Christ que, selon la Bible, Satan provoque en lui disant de se jeter dans le vide car s’il est vraiment le fils de Dieu, les anges le porteront. En réaction, Mattei réalise « Vanités » (2007/2009), où il se met en scène. Sur un cliché, on le voit le visage nimbé d’une auréole lumineuse, telle une icône, en train de souffler dans une langue de grand-mère, avec pour titre : « Les anges ne savent pas voler… ». Sur une autre photo, il pose les bras en croix, tout nu, tel le Christ.
C’est un tournant dans la vie et le style de Mattei. En 2007/2008, il décide de se réinstaller à Nice avec sa famille et de changer de thématique. Au lieu de parasiter les images glamour de la pub, il crée des mises en scène qui se proposent de raconter une histoire. Leur sens ne doit pas être explicite. Les lieux, par exemple, ne sont pas identifiables avec certitude. Le spectateur doit se demander ce qui s’est passé avant et ce qui pourra se passer après la scène qu’il voit sur la photo. Un peu comme si à travers un plan fixe, il devait reconstituer tout le film. Ainsi, « Jour de fête » (2013) nous montre un homme vu de dos, une hache à la main, qui marche, la nuit, dans une rue, au-dessus de lui on voit une terrasse éclairée. « Le voyageur » (2013) nous présente un homme encore, un sac sur le dos, debout entre deux arbres, en contrebas, on aperçoit une ville éclairée. « La scène » (2012) se passe dans un bureau qui a l’air d’être celui d’un avocat, deux personnages habillés de combinaisons transparentes sont en train de converser. « Jesus Christ is a communist » (2011), nous montre un tagger de dos, assis dans un fauteuil, qui, au crépuscule, regarde l’inscription qu’il vient de réaliser sur un mur et qui n’est autre que le titre de l’oeuvre. « L’arrestation » (2010) met en scène sur le mode du thriller, des policiers procédant à l’interpellation musclée d’un homme qui n’est autre que Mattei lui-même. En 2010, il réalise une exposition personnelle en deux volets, à Nice, à la Galerie l’Espace à vendre, et à Paris, à la Galerie Bertrand Baraudou.
A travers ce nouveau travail, Mattei réagit à ce qui l’énerve, l’irrite, le met en colère. Ce peut-être un fait divers, un fait de société, la violence faite aux femmes, par exemple, qui lui a inspiré ses premiers nus féminins. Ses photos énigmatiques au climat sombre et inquiétant nous incitent à la réflexion, à la critique. Elles manifestent une irrésistible envie de liberté, qui donne à son art sa vigueur et sa beauté. Autant de qualités que l’on retrouve, lorsque, passant de la photo à la vidéo, il renoue avec le mouvement et le cinéma qui a déterminé tout son parcours de photographe. Dans « Top 48 », il danse pendant 2 h 45 sur 48 musiques qui ont marqué sa vie depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui. Dans « Top of the Pops », 10 adolescents s’auto-filment à tour de rôle en train de danser sur des musiques de leur choix. Enfin, dans « Impact », sa dernière vidéo en date, un jeune homme court à travers la ville, à corps perdu, à perdre haleine, il court, il fuit, quoi ? un passé qui le hante, une famille étouffante, des tueurs qui veulent l’exécuter, ou bien cette ville plongée dans la nuit, lourde de menaces, où l’oppression et la violence font régner leur ordre despotique ?
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