Cédric Tanguy
L’univers de la transfiguration
Cela pourrait être un conte de fées raconté par le Diable. Ce qui n’a rien d’étonnant : on sait que le Malin n’est jamais loin lorsqu’il est question de prendre l’enfant au piège des sortilèges. Ce conte donc, raconterait l’histoire d’un enfant qui voulait être roi, mais ne le fut pas. Triste histoire, sauf qu’il prit sa revanche en devenant artiste… L’enfant s’appelle Cédric Tanguy. Il est né à Vannes en Bretagne le 1er octobre 1972. Dès l’école maternelle, il est habité par une vocation : il veut être roi. Il trône ainsi au fond de la classe, à la place des cancres et des poètes. Et lorsque le destin lui donne un petit voisin, il en fait son valet, son souffre-douleur. Jusqu’au jour où les Maîtres convoquent les Parents et donnent à l’enfant-roi une magistrale leçon. « Le monde des adultes, raconte Cédric, s’est abattu sur moi. J’étais le roi déchu et je suis devenu le bouc émissaire de mes camarades de classe. » Mais déjà, il pense à sa revanche : « Quand je serai grand, je serai artiste et je me vengerai. » En attendant, il s’entraîne et dessine. Sa bible, c’est le dictionnaire Larousse qu’il trouve chez ses parents. Il est fasciné par les planches qui reproduisent les œuvres des grands artistes. Son idole absolue, c’est le maître de la peinture romantique allemande : Caspar David Friedich. Dans l’imagination du petit Cédric, les célèbres paysages peints par l’artiste deviennent le théâtre d’histoires fantastiques, se peuplent de légendes, de personnages héroïques, de chimères. Ils lui rappellent la lande bretonne et cette forêt de Brocéliande où retentissent les exploits des chevaliers de la table ronde, du roi Arthur et de la fée Morgane. La télé lui procure une autre révélation. Un jour, il voit Serge Lama descendre les marches du casino de Paris entourées de girls emplumées. C’est le choc. Il rêve d’imiter le show de Lama. Déjà il remporte ses premiers succès : ses parents distribuent les dessins qu’il réalise en recopiant le Grand Larousse : Louis XIV, Napoléon, l’Acropole, etc. Arrive le Lycée. Cédric prépare un bac littéraire. Il en profite pour approfondir le culte qu’il voue au Romantisme. Le bac en poche, il peut réaliser son rêve : il entre aux Beaux-Arts de Nantes. Il en sort diplômé en 1996 et s’en va faire un post-diplôme au Beaux-Arts de Marseille. Mais déjà, il vit, il pense comme un artiste, il est artiste. Aux Beaux-Arts, il cultive un personnage de dandy extravagant, arborant des tenues invraisemblables, folles, complètement excentriques. Il commence à se photographier, à se mettre en scène, à réaliser des autoportraits décalés, hilarants, pleins de malice et d’autodérision. C’est l’époque où il développe un travail sur le star-system qu’il passe à la moulinette d’un humour flamboyant et grandiose. Il multiplie les performances, les apparitions hystérico-loufoques, où il démontre des talents de transformiste à faire pâlir de jalousie Fregoli lui-même. En 2001, par exemple, il participe à « Rêver c’est gagner », au Centre Régional d’Art Contemporain du Languedoc Roussillon. Des collégiens et lycéens se mettent dans la peau de leurs idoles, jouent les stars dans des décors kitsch et reçoivent des « Cédric d’Or » à l’effigie de leur Maître qui a révélé et mis en scène les stars qui étaient en eux. Invité en résidence à Aix-en-Provence dans un asile psychiatrique, Cédric réalise « Club Mad ». Il conduit les pensionnaires en camisole au bord des falaises de Cassis où ils prennent des poses extatiques qui lui rappellent le chef-d’œuvre de Friedrich Voyageur contemplant une mer de nuages.
En 2003, il est à Monaco, au Logoscope pour « Une Soirée chez l’Ambassadeur ». En 2004, le voilà au Canada, à la Joyce Yahouda Gallery de Montréal. La même année, il expose à Lyon à la galerie Métropolis. En 2005, il se pose à Bruxelles à la galerie Aéroplastics avec « Unspeakable ». En 2006, il présente « Hadès Park » à la galerie Friche de la Belle de Mai à Marseille et « Il était une crise de foi… » à la galerie Sandrine de Mons, à Nice… Installé à Vence depuis 7 ans, il vit désormais de son art.
Barocco furioso
Transformiste accompli, performer hors pair, clown, poète, dessinateur, peintre, vidéaste, Cédric Tanguy excelle dans tous les domaines ; les explore et les transcende pour mettre en scène un fabuleux télescopage d’images et de références qui caractérise ses interventions et ses œuvres. À partir de 2000, « il apprend Photoshop », comme il dit, et le voilà « couturier numérique ». Il travaille des images, les coupe et les recoupe, les copie-colle pour composer des fresques
visuelles qui sont contrecollées sur des supports rigides. Une nouvelle période commence. Elle culmine en 2010 avec un retour triomphal à Nantes, au Lieu Unique, l’ancienne biscuiterie LU transformée en centre d’art. Sur 1200 m2, Cédric propose une exposition monumentale, « Tanguy et la biscuiterie », qui lui a demandé un an et demi de travail. Il y donne toute la démesure de son talent de visionnaire, brassant des multitudes de références à l’histoire de l’art, à l’histoire du lieu et à l’actualité récente. L’artiste y apparaît sous de multiples travestissements, aux côtés d’éphèbes aux corps d’athlètes qu’on dirait sortis d’une pub de Dolce & Gabbana. Car ce délire visuel, ce maëlstrom pictural qui tient tout autant de l’opéra rock que de la fable
gothique, ce caravansérail burlesque où le baroque s’hypertrophie jusqu’au kitsch et le romantisme s’enfle jusqu’à la caricature, développe en filigrane une satire aiguë de la société dans laquelle nous vivons. Cédric cannibalise les images qu’il détourne, les vampirise. En 2004, ne s’est-il pas représenté en Cédracula, flanqué de deux loups : Romulus et Remus ? Et en 2011, il a proposé à la Galerie Rabouan Moussion à Paris, une relecture de la légende de la Fée Mélusine, la femme serpent. Il l’a transformée en Mehdusine : « créature hybride d’origine nord-africaine à la sensualité troublante malgré sa queue de serpent ».
L’enfant blessé, le roi déchu n’a pas oublié les démons qui l’ont fait chuter. Son « Tanguyland », ce vertige d’images hallucinées, n’est au fond qu’un miroir tendu à un monde cruel et injuste, pour conjurer ses peurs et s’y mirer tel Narcisse, avec la satisfaction de la revanche prise.
Leave a Reply
Want to join the discussion?Feel free to contribute!